30 avril 2006

JURASSIC PARK

Adoré par certains, décrié par d'autres, Steven Spielberg a pourtant mis tout le monde d'accord avec au moins un film, Jurassic Park. Adapté d'un roman de Michael Crichton (qui s'est forgé depuis une solide réputation de "casseur de films"), le scénario est un bijou, en faisant le must du film catastrophe. Premier avantage : la durée. 1h55 montre en main, c'est juste ce qu'il faut pour ne provoquer ni frustration ni ennui. Néanmoins, Spielberg prend son temps pour nous faire découvrir le fameux parc jurassique, et il faut quasiment trois quarts d'heure pour commencer à entrer dans la vraie aventure, celle qui fait flipper. Trois quarts d'heure passionnants qui rendent crédible la renaissance de ces grosses bébètes à écailles. Quand éducatif et moraliste ne riment pas, c'est rare et appréciable.
Puis vient le temps des gros dinos méchants. Et là, Spielberg fait preuve de maestria dans l'enchainement dramatique des situations, et sa caméra mouvante n'a jamais été aussi efficace. Résultat : un film qui ne fout pas vraiment la trouille, mais qui est tout de même très impressionnant. Treize ans après, les effets spéciaux sont toujours aussi crédibles (là où le récent King Kong sentait un peu trop l'animatronic).
Un regret cependant : on devine très facilement qui mourra et qui mourra pas. Pas d'exception à la règle : les personnages secondaires y passent, et les principaux survivent. C'est d'autant plus dommage que le bouquin de Crichton était autrement plus méchant avec ses héros. On n'aurait vraiment rien eu contre la mort cruelle d'un des deux mioches (un peu agaçants, mais c'est leur rôle qui l'exige).
Greffant à son film catastrophe une réflexion pas con sur les merveilles et les risques de la création Spielberg réussit son pari, celui de faire un grand divertissement, populaire, exigeant et intelligent. c'est assez rare pour être souligné. Le meilleur film du monsieur.
8/10

29 avril 2006

LAYER CAKE

Au début, on croit que Layer cake va être une énième guyritchierie de plus. Mouvements de caméra bien ancrés dans les tendances du moment, voix off omniprésente, treize mille personnages principaux, tous gangsters ou dealers (la seule femme du film est une salope qui met des porte-jarretelles). Bref, le genre de film-cliché qu'on a déjà vu mille fois et qu'on n'a pas spécialement envie de revoir.
Et puis Layer cake change doucement de voie. Adieu Guy Ritchie, bonjour Scorsese. Du sous-sous-Scorsese, évidemment. Mais quitte à avoir des références, autant viser haut. On suit les aventures de xxxx (bah oui, il a pas de nom) avec un certain plaisir. L'humour est très british, la violence pas exubérante, et l'imbroglio scénaristique est complexe. Presque trop : tellement de personnages qu'on a tendance à s'y perdre un peu. Mais ce n'est pas bien grave.
Pour l'un des derniers rôles qu'il a pu interpréter sans que l'étiquette "my name is Bond" lui soit collée sur le front, Daniel Craig prouve qu'il possède de grandes qualités et parvient à rendre presque sympathique le héros du film. Presque seulement. Difficile en effet de soutenir pleinement ce gentil dealer de coke et d'ecstasy qui se trouve confronté à de petits problèmes causés par de méchants mafieux. Difficile d'accepter qu'un type qui vend de la mort soit considéré comme un héros. Pas dans ce genre de film, en tout cas.
Pour son premier film, Matthew Vaughn (monsieur Schiffer, le salaud) fait preuve d'une belle maîtrise technique et d'un certain bon goût notamment dans le choix de la musique et du personnage féminin (Sienna Miller, qui réveillerait un mort). Bref Layer cake est idéal pour un vendredi soir, vautré sur son canapé, quelques bières au frais.
6/10

28 avril 2006

KIDS

Il y a dix ans sortait Kids, le premier film de Larry Clark. Le film suit d'abord Telly et Casper, deux branleurs plus ou moins majeurs dont le hobby préféré est de dépuceler des filles, si possible très jeunes (13 ans, c'est pas gênant). Puis Jennie, jeune fille victime de Telly quelques années plus tôt, qui apprend qu'elle est séropositive. Le seul coupable possible : Telly. Kids se déroule sur une journée, au cours de laquelle Jennie tente d'aller trouver Telly pour lui apprendre la nouvelle.
Des ados qui se roulent des pelles indescriptibles et qui baisent en sortant de l'école primaire, le tout sous la caméra un brin voyeuse de Larry Clark, il n'en fallait pas plus pour provoquer un tollé général. Dix ans plus tard, si le propos est toujours aussi subversif, on est presque blasé devant cette provoc bien éventée. Car depuis, Harmony Korine a écrit d'autres scénars et Clark a fait d'autres films, aussi "choquants" et plus parlants. Dans le même genre, Ken Park, en 2003, explorait des sujets voisins avec une plus grande efficacité et une singularité plus prononcée. Mais le message est fort : cette jeunesse déjà désabusée et tellement décadente, qui croit que le HIV n'arrive qu'aux autres et qui prend la baise pour l'étape logique qui suit les peluches, les Playmobil et le skate-board, a vraiment du souci à se faire. Une scène terrible, située à la fin, résume à elle seule tout le propos de Kids, qui s'interroge sur le décalage entre la pseudo-maturité sexuelle de ces gosses (qui baisent plus que bien des adultes mais sans souci de consentement mutuel ni d'aucune autre valeur) et le fait que leur âge mental ne dépasse pas les 12 ans. Une scène amenée toute en douceur mais d'une cruauté morale sans nom. La scène de sexe la plus éthérée de tout le film. Et pourtant...
Kids a également le mérite d'avoir révélé un scénariste de grand talent, Harmony Korine (bientôt auteur de Ken Park et réalisateur) et deux comédiennes qui comptent, les excellentes Chloe Sevigny et Rosario Dawson, rien que ça, ma bonne dame.
7/10

27 avril 2006

LE PROJET D'ALEXANDRA

Les mauvais films sont légion. Les navets sont très nombreux. Mais il y a quelques bidules filmiques qui dépassent l'entendement. Le projet d'Alexandra est de ceux-là. Déjà, le titre sonne faux, mais ce n'est pas bien grave comparé au reste. Ensuite, il y a le pitch, attirant parce qu'assez ridicule. Le jour de son anniversaire, un homme rentre chez lui et se retrouve pris au piège de son appartement. La responsable : sa femme, avec la complicité de son voisin et amant, directeur d'une entreprise de sécurité domestique. Le type est donc coincé chez lui par des clôtures, des grillages et des sécurités inviolables. La vidéo laissée par sa femme va lui expliquer point par point les détails et les raisons de cette vengeance un peu spéciale... Mouhahaha! Mais il y a pire. D'abord le propos : une sorte de potage industriel mixant féminisme, sado-masochisme et humiliation. Et puis le traitement : après une première demi-heure chiante comme la mort mais qui donne quand même un peu envie de savoir ce qui va se passer (comme dans tous les films nuls), où l'on voit Alexandra préparer son plan (plus que bancal, le plan, une invraisemblance par minute), l'heure suivante consiste à regarder Steve (le mari, donc) en train de regarder la vidéo que lui a laissé sa femme. N'attendez pas un jeu de miroirs entre la réalité et ce qui se passe à l'écran. N'attendez pas non plus un plan machiavélique qui va vous laisser pantois. Ni une leçon de violence froide à la Haneke (on sent pourtant que le réal aimerait bien). Ennui total + ridicule des situations + acteurs mauvais comme des cochons + ... = Le projet d'Alexandra, un machin qu'il faut voir pour le croire. Étonnant de la part de Rolf de Heer, qui n'a certes jamais été un réalisateur transcendant, mais qui avait au moins le mérite d'essayer de faire du cinéma. Ici, ça ressemble au plus mauvais des films de fin d'étude jamais réalisé. La note zéro a rarement autant eu de sens.
0/10

26 avril 2006

MACADAM COWBOY

'Everybody's talking at me
I don't hear a word they're saying
Only the echoes of my mind...'

Macadam cowboy commence par cette joyeuse chanson de Harry Nilsson, candide et optimiste, à l'image de son héros. Joe Buck, 28 ans, plouc texan doté d'une jolie frimousse (mais une frimousse de plouc) et monté comme un étalon (c'est pas moi qui le dis), débarque à New York pour faire fortune. Son créneau? Faire le gigolo. Mais Joe est un grand niais maladroit qui se fait berner partout où il va... Grand film, cruel et doux à la fois, Macadam cowboy doit beaucoup à ses deux interprètes principaux. Dans le meilleur rôle de sa vie, Jon Voight fait des merveilles dans sa panoplie de cowboy ringard. À ses côtés, Dustin Hoffman n'est pas mal non plus (mais à cette époque, c'est une habitude). John Schlesinger livre une bal(l)ade rythmée et souvent enjouée à la gloire des branques et des péquenots. On navigue sans cesse entre la comédie et le drame, sans jamais basculer dans l'un ni dans l'autre. Rien n'est fait pour faire rire ou pour faire pleurer. Macadam cowboy (le midnight du titre original s'est bizarrement transformé en macadam) offre son lot de scènes irrésistibles. Beau comme un camion, intelligemment écrit, le meilleur film de John Schelsinger est un incontournable.
10/10

AKOIBON

Ça commence comme un film d'Édouard Baer : des personnages paumés, en complet décalage avec la réalité, se rencontrent sans vraiment se rencontrer, le tout dans un hôtel salle de spectacle mené par un has-been tyrannique. Ça part dans tous les sens, c'est parfois très drôle, souvent un peu raté, mais ça vit. Il y a par moments une touche d'étrange qui fait penser (toutes proportions gardées) à l'univers de David Lynch.
Et puis, après une petite heure, Akoibon opère un virage à 180 degrés (à moins que ce ne soit à 540, 900 ou que sais-je encore). Ça se poursuit donc comme un film d'Édouard Baer, où ce ne sont pas les héros qui sont décalés, mais le décalage qui devient le héros. C'est là que le titre prend tout son sens : Akoibon faire du cinéma? Akoibon raconter des histoires qui de toute façon ne mènent à rien? Mais aussi (et c'est bien le problème) Akoibon voir Akoibon? Il n'est pas interdit d'être totalement réfractaire à l'univers parallèle créé par Baer. Pourtant, passé l'étape où l'on se sent déconcerté, il y a de très jolies choses dans ce film. Un refus des conventions assez séducteur au milieu des litres de soupe qu'on nous sert chaque mercredi. Une mise en scène barrée et intrigante, avec des emprunts notables à Lynch et Fellini (sans pour autant fausser la Baer touch). Et une actrice admirable, Marie Denarnaud, à la chair attirante et au talent pour le moins singulier. Malgré le bide du film, qu'Édouard Baer poursuive dans cette voie : à défaut d'être pleinement satisfaisants, ses films sont des bouffées délirantes complètement indispensables.
6/10

25 avril 2006

ASSASSIN(S)

Toute société a les crimes qu'elle mérite. La tagline de l'affiche d'Assassin(s) annonce la couleur : si l'histoire lorgne vers le polar et le drame, il y a également un bon gros message socio-politique qui vous y attend. C'est là le gros défaut du film : comme si raconter une simple histoire était indigne d'un bon cinéaste, Mathieu Kassovitz et son compère Nicolas Boukhrief ont cru bon d'y ajouter une morale lourde et caricaturale. Pourtant, la matière première du scénario se suffisait à elle-même. Le film raconte comment un vieux tueur à gages transmet son savoir à un jeune blanc-bec pas très sûr de savoir où il met les pieds. C'est du beau et du bon cinéma, avec des moments violents et intenses, et une mise en scène inspirée comme sait le faire Kasso quand il aime son sujet. Seulement voilà : à mesure que les bobines se déroulent, à force de voir des gros plans sur télés allumées dans chaque scène, on comprend que Kassovitz veut nous dire que la télé, c'est mal, et que toutes ces images de meurtres banalisent la violence qui s'installe dans notre-société-qu'elle-a-que-des-problèmes. Et ce n'est pas une scène, mais dix, qui viennent marteler ce message dans nos petits crânes. Résultat : on se sent légèrement pris pour un con, et en plus, Kassovitz oublie de raconter son histoire. C'est bien dommage : le duo qu'il forme avec Michel Serrault était pile dans le ton, et il y a des scènes qui font baver d'envie.
5/10

DES SOURIS ET DES HOMMES

Que ceux qui n'ont pas lu le roman de Steinbeck se ruent dessus : Des souris et des hommes est un drame rural passionnant et bouleversant. Quant au film de Gary Sinise, il est une sympathique mise en images du livre. Et pas grand chose de plus. Mise en scène appliquée mais scolaire, comédiens concentrés mais pas transcendants (dans le rôle du grand costaud très simplet, John Malkovich en fait un peu trop)... Le film est idéal pour donner envie d'en savoir plus, et donc de lire le roman. Il faut dire que le récit est prenant : deux types, l'un maigrichon est futé et l'autre un peu débile mais doté d'une force de boeuf, viennent faire les moissons. Mais les rivalités et la maladresse du grand bêta mettent peu à peu le feu aux poudres... Des souris et des hommes préfigure des films comme Les chiens de paille, où la violence est exacerbée par la profonde bêtise de l'être humain. Gary Sinise retranscrit bien cette atmosphère d'abord moite puis très chaude, mais sans le supplément d'âme qui fait les bons films. Même la fin, a priori d'une force visuelle inouie, n'est pas aussi intense que sur le papier.
5/10

24 avril 2006

LE PÉRIL JEUNE

À la base, un téléfilm commandé par Arte. À l'arrivée, une dizaine d'années plus tard, Le péril jeune est devenu l'un des films cultes de la jeunesse française. La recette de ce succès? Une histoire simple faite de tranches de vie (quatre trentenaires se remémorent leurs années lycée, quand ils n'étaient que de jeunes branleurs), des personnages attachants interprétés avec justesse (si on a un léger faible pour ce grand dadais de Chabert, joué par Vincent Elbaz, reconnaissons que tous les autres sont aussi bien croqués), et une sincérité indéniable. En un mot, l'esprit Klapisch. Un monde où la caricature sonne juste, où rien n'est jamais grave, et qu'on est triste de quitter au moment où arrive le générique de fin. Ça peut sembler léger, et ça l'est. Mais Le péril jeune est une comédie vraiment drôle qui dit de vraies choses pertinentes sur la condition et l'état de nos jeunes. Car "si le jeune se tourne vers l'avenir, l'avenir ne se tourne pas vers le jeune", comme le dit le prof de maths, l'un des personnages complètement barrés de cette délicieuse galerie de zozos qui rappellent parfois Gotlib dans sa veine "réaliste".
8/10

FRAGILE

La mode est au fragile, en ce moment. Après l'excellent album des Têtes Raides, voici venu le temps de Jaume Balaguero. Balaguero n'est pas un réalisateur rigolo : il fait des films fantastiques d'une noirceur sans nom, où les enfants sont toujours au coeur de la souffrance. Antécédents : La secte sans nom (déprimant) et Darkness (à la fin apocalyptique peu rassurante). Problème : le monsieur ne semble pas déterminé à faire évoluer son style. Il reprend peu ou prou la même histoire que dans Darkness, avec un hôpital-qui-fait-du-mal à la place de la maison-qui-fait-souffrir, et en tire la même substance (malaise ambiant, évènements improbables, eau de boudin). Ce n'est donc pas très neuf. Et comme la fin de Darkness était mémorable et indépassable (en gros, Balaguero y mettait en scène la fin du monde), Fragile apparaît au mieux comme son petit frère un peu attardé. L'étonnante prestation de Calista Flockhart n'y changera rien : Fragile n'est qu'une énième variation sur le thème de la possession. Néanmoins, le film étant très bien exécuté, il n'est pas interdit d'y prendre un certain plaisir.
6/10

HEAVEN

Premier volet d'une trilogie coécrite par Kieslowski mais qu'il n'a pu réaliser pour cause de décès (ça se comprend), Heaven est tombé entre les mains de Tom Tykwer, cinéaste allemand talentueux et à la mode. Exit sa chère Franka Potente, bonjour à Cate Blanchett et Giovanni Ribisi, pour ce thriller dramatico-romantique international et vraiment étrange.
Il faut accepter le postulat de départ : en Italie, après avoir tué quatre innocents en voulant faire exploser le bureau d'un trafiquant, une femme anglaise est arrêtée. Là, le carabinieri chargé de traduire ses propos tombe amoureux d'elle et échafaude un plan pour qu'elle puisse s'évader... Rien que ce résumé couvre la moitié du film, car l'essentiel n'est pas là. Heaven est d'abord un grand film triste, qui fout le cafard comme pas deux tant ses personnages sont désespérés, en pleine impasse. Le film fait preuve d'une force inouie, puisque l'intrigue assez peu crédible devient tout à coup très gracieuse sous le poids du romantisme et de la gravité. Et de scène en scène, on est bouleversé par les prestations de Blanchett et Ribisi.
À tant piocher dans tous les genres (évasion + amour + contexte politique + drame...), Heaven pourrait se disperser, donner la désagréable impression d'avoir à faire à un film bâtard. Bizarrement, pas du tout. Cela tient sans doute au détachement et à la délicatesse de la mise en scène de Tykwer, qui avait déjà prouvé dans The princess + the warrior qu'il savait se montrer léger avec les histoires lourdes.
Le deuxième volet de la trilogie de Kieslowski, L'enfer, par Danis Tanovic, a été un ratage mémorable. Preuve supplémentaire du talent singulier de Tom Tykwer. Espérons que le responsable du troisième et dernier film (qui devrait s'intituler Purgatoire) soit à sa hauteur.
9/10

LES MOTS BLEUS

Est-ce parce qu'un film s'appelle Les mots bleus qu'il faut s'y coltiner dix fois la chanson du même titre? Très premier degré, Alain Corneau a pensé que oui. Tout irait bien si l'horripilante chanson de Christophe était le seul défaut d'un film franchement mauvais. Une maman illettrée place sa fille, qui n'a jamais prononcé le moindre mot alors qu'elle n'est pas muette, dans une école pour sourds-muets. Là, le gentil directeur va tout mettre en oeuvre pour faire enfin parler la fillette. C'est pas fastoche, hein. Surtout qu'à un moment, la madame et le monsieur, ils tombent amoureux, alors ça complique tout. Bref, c'est un ramassis de conneries mêlant psychologie de bazar (et encore, c'est méchant pour les bazars) et romantisme à la noix. Le film parvient à rendre Sylvie Testud détestable et Sergi Lopez ennuyeux. On a envie de coller des pains à la petite fille aux yeux de merlan frit et de trouver l'adresse de Christophe pour mettre le feu à sa maison. Et de dire à Alain Corneau d'arrêter avec la DV, voire même avec le cinéma. Cela fait bien longtemps qu'il n'en fait plus, et ce film ni fait ni à faire ne fait que le confirmer le plus lourdement du monde.
1/10

19 avril 2006

TROPICAL MALADY

Apichatpong Weerasethakul. L'homme a un nom long et compliqué, radical mais vraiment beau. À l'image de ses films. Après Mysterious object at noon et Blissfully yours, deux objects très lents mais très beaux, Weerasethakul poursuit dans sa quête de l'épure ultime. Mais cette fois, il va encore plus loin. D'abord avec une construction binaire et audacieuse. Tropical malady comporte deux parties bien distinctes : la première conte l'histoire d'amour fleur bleue de deux jeunes hommes, tandis que la seconde narre une chasse à l'homme-animal. À la fois liées et indépendantes, les deux moitiés se complètent et se répondent. Chacune n'aurait que très peu d'intérêt si l'autre n'existait pas. Weerasethakul ajoute une touche de mysticisme, de fantastique fascinant, en insérant une vieille légende thaïlandaise disant qu'un homme peut se transformer en bête sauvage... Et on est bouche bée, fasciné par des images d'une beauté sans nom, pris par des sensations inédites. Film réservé aux spectateurs avertis, Tropical malady en fera fuir plus d'un : très peu de dialogues, de l'action au compte-gouttes... Il faut admirer et ressentir ce qui est offert à l'écran, tout en guettant patiemment que se produise enfin quelque chose de significatif. On serait bien en peine de disséquer le pourquoi du comment de la réussite du cinéma de Jo (c'est son petit sobriquet) Weerasethakul. Toujours est-il que Tropical malady possède une force hypnotique quasiment indéniable. Se munir quand même d'une cafetière pleine. Servir chaud. Et s'y noyer.
8/10

18 avril 2006

ZE FILM

C'est l'histoire de trois pieds nickelés qui piquent un camion plein de matos cinématographique et qui décident de faire un film avec tous les djeunz de leur banlieue. Le héros, qu'on surnomme Kubrick, aime Stan K et Bergman, mais écrit un scénar ridicule empruntant à Shakespeare (pour l'amour impossible) et aux auteurs de "Plus belle la vie" (pour le côté tout pourri). Visiblement, ça ne choque personne. Mais passons. Pour mener leur projet à bien, il leur faudra franchir des obstacles de taille et faire preuve de ruse. Sur le thème du tournage improvisé, on rêve d'un Bowfinger en français et en drôle. Malheureusement, Guy Jacques livre une maigre comédie de banlieue, qui fait penser à du Thomas Gilou par la faiblesse du script (aucune péripétie un tant soit peu originale) et le côté ethnico-naïf (qui dit "évitons les clichés" mais qui fait passer tous les grands frères arabes pour des tortionnaires). Amusant par endroits (notamment grâce au rigolo Dan Herzberg, toxico un peu largué), Ze film est tout de même très très très anecdotique.
4/10

17 avril 2006

LA VIE AQUATIQUE

Wes Anderson cinéaste routinier? C'est ce que des individus mal intentionnés ont crié haut et fort après la sortie de La famille Tenenbaum, son génial troisième film. Le style Anderson est tellement singulier et original qu'il donne à certains l'impression de se répéter, de tourner en rond. Toujours la même mise en scène bien carrée, toujours le même humour à froid. J'ai tendance à dire qu'on ne se lasse pas du génie, mais toujours est-il qu'Anderson semble avoir entendu ces critiques. Car si La vie aquatique ne marque pas un virage à 180 degrés dans la jolie filmographie du jeune homme, il y a bien une évolution. Loufoquerie, fantasmagorie, absurde : trois éléments qui composent le film et qu'Anderson n'avait pas ou peu utilisés jusque là. Premier exemple : pour figurer le monde sous-marin dans lequel évoluent Steve Zissou et ses congénères, il a fait appel à Henry Selick, responsable artistique des films d'animations burtoniens, ce qui donne des hippocampes arc-en-ciel, un requin-jaguar avec de vraies morceaux de jaguar dedans, et j'en passe. Deuxième exemple : à un moment du film, la team Zissou est attaqué par des corsaires armés jusqu'aux dents, que Steve finit par éliminer un par un. Ce n'est évidemment pas crédible une seconde, mais comme tout le monde le sait, on s'en fout. On pourrait en citer d'autres, mais la preuve est faite : Anderson se fout de faire dans le réalisme et préfère continuer à jouer avec ses personnages comme s'ils étaient des Playmobil, avec leurs jolis costumes colorés et leurs têtes rigolotes. D'où le fait sans doute que La vie aquatique enthousiasme un peu moins que les précédents films d'Anderson, où le fond fantaisiste et décalé n'empêchait pas l'émotion d'affluer. Ici, on reste un peu à la surface. Il n'empêche que la mise en scène est toujours aussi fabuleuse, que le casting est à tomber (avec en tête Bill Murray, comme une évidence), et qu'il y a là-dedans bien plus de matière que dans 95% du reste de la soupe qui nous est servie chaque mercredi. Alors fine bouche, oui, mais point trop quand même.
7/10

14 avril 2006

L'INSOUTENABLE LÉGÈRETÉ DE L'ÊTRE

Il paraît que c'est très bien, Kundera. En tant que champion des incultes en matière de littérature, je dois avouer que je n'en sais rien du tout. En tout cas, s'il est aussi bon que le film, le roman L'insoutenable légèreté de l'être doit vraiment être excellent. Passée la drôle d'impression due au fait d'entendre Daniel Day-Lewis, Juliette Binoche et compagnie parler anglais avec un fort accent slave (pour qu'on n'oublie pas que les personnages sont tchèques), le film est un moment d'abord délicieux puis plus grave à la fin. On suit Tomas, chirurgien casanova, coureur de jupons, qui s'attire les charmes des femmes mais éprouve une terrible crainte à leur égard. Face à lui, deux femmes qui comptent : l'amante-confidente et le récent coup de foudre. Malgré la courte durée de ses scènes d'amour, L'insoutenable légèreté de l'être exhale un parfum enivrant et excitant, celui de la baise complice et rigolarde. Mais le temps passe, la guerre éclate et les sentiments se font plus précis et intenses. Et le sourire enjoleur et moqueur de Tomas finit par disparaître au profit d'une mine toujours aussi séduisante mais plus sérieuse. Et le séduisant chassé-croisé amoureux se mue en film à message politique, plus timoré mais aussi intéressant. Porté par des interprètes fabuleux (dont la merveilleuse Lena Olin, intense et sauvage, sexe en diable), L'insoutenable légèreté de l'être est un excellent film dont la longueur (près de trois heures) n'est pas un défaut.
8/10

LES PORTES DE LA GLOIRE

Attention, bijou. Poursuivant dans le sillon des Galettes de Pont-Aven et autres films de VRP beaufs (qui ont tous très mal vieilli), Christian Merret-Palmair, complice de longue date de Benoît Poelvoorde, dresse un portrait acide et hilarant d'un groupe de représentants d'opérette. Leur but : vendre à monsieur et madame Péquenot les 12 exemplaires de l'encyclopédie de Ralph Spiegel, une sorte de gourou prétendûment génial et probablement imaginaire, au prix de 599 francs. L'unité, bien sûr. Cinq pieds nickelés, à la fois navrants et réjouissants, qui sillonnent la France pour vendre de la merde. Cinq personnages soigneusement écrits, pas totalement neufs mais vraiment drôles. Presque sans temps mort, enchaînant les scènes hilarantes, Les portes de la gloire décrit mieux que bien d'autres films la médiocrité totale de l'être humain. Le médiocre parmi les médiocres étant (forcément) incarné par Benoît Poelvoorde, petit chef tyrannique fan du Pont de la rivière Kwaï et pourvu d'un très gros zguèg. Il y a aussi un fan de Michel Sardou, un type qui ressemble à Laurent Fignon, et toute une galerie de gens méprisables et risibles. Pour autant, on n'est pas chez Onteniente : ils ne sont pas prétextes à de grosses scènes de poilade formatées pour le prime time de TF1. Les portes de la gloire préfère creuser le sillon de l'humour belge, dont Poelvoorde est le fer de lance, de monsieur Manatane en C'est arrivé près de chez vous. La fin du film, à la fois génialement drôle et complètement glaciale, donne le ton. Absolument indispensable, Les portes de la gloire est à placer au rayon des comédies de premier choix, un rayon très très très peu rempli.
9/10

BAD SANTA

Après le terrible Ghost world, on attendait Terry Zwigoff de pied ferme. Le résultat est une comédie dont le côté trash s'arrête là où le "tout public" clignote en grosses lettres rouges. Truffé de grossièretés, de grosses cuites et de quickies (charmant terme servant à décrire des coups tirés vite fait çà et là), Bad santa ne va pas plus loin dans la transgression. Dynamitant joyeusement l'esprit de Noël (une sorte d'amoncellement gluant des bons sentiments les plus éculés qui soient), il montre un personnage qui va finir par s'attendrir au contact de quelques personnages moins durs que lui. On aurait espéré le contraire : voir un type qui refuse jusqu'au bout de céder à tout ce faste sirupeux aurait été nettement plus jouissif. Néanmoins, ça se laisse voir, notamment grâce à Billy Bob Thornton, idéal en Santa Claus pété comme un coing 24 heures sur 24, et à l'acidité du trait de Terry Zwigoff, qu'on attend tout de même sur des terrains nettement plus savonneux. Quant à la version dite "non censurée", elle ne fait que donner un peu plus de place aux nombreux jurons proférés par Thornton et son ami le nain. Ce qui est rigolo mais dispensable.
7/10

09 avril 2006

LOST HIGHWAY

Fred Madison est saxophoniste. Il apprend par interphone interposé que 'Dick Laurent is dead'. Puis reçoit des vidéos de sa propre maison (un peu comme dans Caché). Puis est condamné à mort pour le meurtre de sa femme Renée, une très belle brune really busty. Un jour, dans sa cellule, ce n'est pas Fred que l'on retrouve mais Pete Dayton, jeune garagiste qui se demande ce qu'il fait là. Pete Dayton répare avec soin les voitures de Mr Eddy, vieux mafieux impulsif, qui sort avec Alice Wakefield, une très belle blonde really busty. Pete et Alice vivent une passion torride. Et ainsi de suite. Et ça recommence. Résumer Lost highway, ce n'est absolument pas déflorer son mystère, puisque tout est affaire de perception personnelle, de conflits intérieurs, de la manière dont chacun vit sa vie et de sa tendance ou non à analyser le moindre détail. À la fois poupée gigogne et ruban de Moebius, le film est au choix un abominable casse-tête ou un long périple transcendental, orné de scènes-clés et d'images choc. À mesure que son style se développe, Lynch offre de moins en moins de clés au spectateur. Et c'est tant mieux : chacun se fait son film, sa petite histoire, sa propre logique. On pourrait disserter des heures sur le sens profond de Lost highway, sans jamais arriver à une conclusion vraiment satisfaisante. Il y a de quoi devenir fou. Image bouleversante (qui font un peu regretter que Lynch passe à la DV pour ses prochains films), acteurs passionnants (dont le génial et trop rare Balthazar Getty)... Lost highway est un voyage d'où l'on ne revient pas indemne. À supposer qu'on en revienne.
10/10

07 avril 2006

LA CITÉ DES ENFANTS PERDUS

Auréolés de la jolie réputation qui a suivi la sortie de Delicatessen, Caro & Jeunet remettent le couvert quelques années plus tard. La cité des enfants perdus remixe leurs obsessions : mondes souterrains, milices inquiétantes, atmosphère de fin du monde, freaks plongés dans la solitude, gadgets en tous genres... et puis c'est tout. En passant après Delicatessen, La cité des enfants perdus passe pour un film sans originalité ni âme, un monument de frime sentant le studio et le carton-pâte, où les gimmicks et astuces en tous genresne parviennent pas à masquer le vide de l'ensemble. Pire, c'est extrêmement moche (amusant pour qui se souvient des propos de Jeunet quelques années plus tard : "je suis à peu près le seul en France à faire de belles images"). Couleurs qui bavent, filtres verdâtres même pas réussis... ça filme petit, très serré, comme si les réalisateurs avaient honte des décors et de l'atmosphère créée (on les comprend). Sauvons tout de même l'excellent duo Judith Vittet / Ron Perlman, puce à la volonté de fer et géant au coeur d'or, les deux seuls à émerger de cette potion ratée.
3/10

LA BOSTELLA

Comique en vogue, Édouard se voit confier la présentation d'une émission quotidienne, un 19h30-20h, sur une grande chaîne (qu'on suppose cryptée). Un mois avant le lancement de l'émission, il réunit toute son équipe de joyeux drilles dans une villa camarguaise pour tout préparer dans les règles de l'art. Mais paresse, gros égos, pannes d'inspiration et emmerdeurs en tous genres viennent court-circuiter leur travail de création. La première chose qui frappe avec La bostella, c'est à quel point tout celà semble réel. Et pour cause : Édouard Baer joue Édouard, ses condisciples habituels (Gaston-Dreyfus, Lahmi & co) jouent ses condisciples habituels... Encore un peu et on croirait se retrouver face à un documentaire. Mais évidemment, tout ceci n'est qu'une fiction. Si Baer et son coscénariste Fabrice Roger-Lacan se sont sans doute inspirés de quelques légères brouilles ayant vraiment existé (le type d'humour de la bande à Baer étant délicat à pratiquer et à saisir), La bostella n'est qu'un film. Un film à la fois prévisible (pour les fans assidus du fameux Centre de visionnage) et déroutant (dans certaines scènes, on ne sait pas si l'on doit être effrayé ou si l'on doit éclater de rire), à l'image de monsieur Baer, auteur singulier s'il en est. Il faut aimer l'humour très décalé et volontairement à côté de la plaque. Il faut aimer les réalisations un peu brouillonnes (mais Baer réalise aussi bien que Cassevetes, son modéle, qui n'était pas un virtuose de la caméra). Mais pour peu qu'on soit plein de ces dispositions positives, La bostella est un régal doux-amer qui prouve qu'Édouard Baer a sa place au cinéma.
8/10

05 avril 2006

30 ANS SINON RIEN

Jenna R., 13 ans, pas droguée, par prostituée, mais mal dans sa peau. Elle n'est pas très jolie, le groupe de pétasses de son bahut ne veut pas d'elle, son meilleur pote est un gros balourd, et Jenna voudrait bien avoir 30 ans, là, tout de suite. Par miracle, son voeu est exaucé. Et le vilain petit canard se réveille dans la peau d'une working girl option bonnasse, courtisée par les mecs et impitoyable en affaires... De Big en Freaky friday, on a vu ça cent fois. Mais on s'en fout. Car à la manière des comédies pour teenagers ou grands lubriques (spéciale dédicace, Finnegans Wake) de Lindsay Lohan, 30 ans sinon rien est un petit monument de tendresse. Sans fioritures, sans crânage, 30 ans sinon rien charme par sa modestie et par le sourire de son héroïne, Jennifer Garner, vraie découverte, abonnée jusqu'ici à des rôles nuls (auxquels elle rendait justice), et qui démontre un véritable potentiel comique. On a vraiment l'impression de voir une gamine de 13 ans dans un corps de trente. Le déroulement du film est sucré et prévisible, mais on s'en fout : c'est idéal pour regarder à quatre heures et demie avec son paquet de choco BN et son verre de lait grenadine.
6/10

02 avril 2006

LA DIAGONALE DU FOU

Il y a des films comme ça qui ne vous tentent guère. Prenez un film d'échecs, par exemple. Supposons quand même que vous affectionniez un minimum cette discipline (sinon, ce n'est même pas la peine). Avez-vous vraiment envie de vous taper deux heures d'ouvertures à la suédoise, de coups du berger et de grands roques? Nan, hein. Richard Dembo l'a bien compris, et fait de La diagonale du fou non seulement un film sur les échecs (finale du championnat du monde, tension palpable, mains moites et coeurs qui lâchent), mais également un jeu d'échecs vivant. Car les deux protagonistes ne sont pas de simples joueurs, mais des êtres politisés, manipulateurs ou manipulables. Tous deux sont soviétiques. L'un est passé à l'Ouest, l'autre non. Les deux camps s'espionnent. Il y a plus de gardes du corps que pour des diplomates. Tendu à l'extrême, le film alterne une dizaine d'oppositions angoissantes autour d'un échiquier et autant de journées d'attente entre deux parties, où le calme qui précède la bataille est encombré de tourments de tous ordres. Un scénario implacable et des acteurs de grande qualité, d'où émerge le formidable Michel Piccoli en génie vieillissant et cardiaque. Étonnant Oscar du film étranger, La diagonale du fou est en tout cas un pari risqué mais réussi.
7/10