31 octobre 2006

DIEU SEUL ME VOIT

Albert est preneur de son. Albert ne sait pas ce qu'il veut. Alors il hésite, avant, après, et même pendant, à toute heure et à propos de tout : la raclette, Fidel Castro, une place de parking, et évidemment les filles. D'où un film lunaire, pas vraiment résumable, où éclosent deux personnalités : celle de Bruno Podalydès, metteur en scène délicat injectant de la drôlerie dans chaque coin de plan (et acteur délicieux à ses heures), et celle de son frère Denis, le plus connu des deux, sorte de Pierrot cosmique capable de se lancer dans des tirades criantes de vérités et terriblement touchantes. Leur cinéma ressemble à la rencontre de Desplechin et Luchini, mais débarrassée du côté intello et de tas de tics d'acteur.
Il y a un peu d'Albert en chaque homme (et sans doute en chaque femme, même), ce qui fait de Dieu seul me voit un film charmant et irrésistible qui décortique nos petites misères avec un sens du burlesque inné. C'est également un amusant hommage à Tintin, au détour de nombreux clins d'oeil ou références (soyez attentifs). Le plus évident étant cette soirée dans un restaurant syldave (bin voyons), propice à une séquence hilarante entre Denis Podalydès et Jeanne Balibar (moins agaçante que d'habitude).
Les frères Poda l'ont confirmé depuis : ils possèdent un univers bien à eux, mélange atypique de rêveries et de bon gros réalisme, tellement séduisant qu'il fonctionne même quand il ne fonctionne pas. Comme une évidence. Voilà.
8/10

THE WEATHER UNDERGROUND

Tout ceci n'a absolument rien à voir avec Lou Reed. The weather underground, c'est le nom d'un groupe de jeunes activistes américains. D'abord membres d'un simple syndicat étudiant, ils firent muter le mouvement pour devenir de gentils activistes pacifistes répondant au doux nom de Weatherman (hommage à Dylan) et luttant comme ils pouvaient contre la guerre du Vietnam. Puis, se rendant compte que la violence est souvent le meilleur moyen de se faire entendre, Weatherman devint Weather underground, réseau clandestin terroriste faisant péter les administrations (vidées de leurs occupants) pour protester. Contre la guerre, le racisme, les injustices...
The weather underground est le portrait de ces jeunes dont certains sont devenus vieux. Prêts à tout pour défendre leurs idéaux, ils ont quitté leur famille et abandonné leur vie sociale pour aller fonder ensemble une micro-société polygame où l'activité numéro 1 est la fabrication d'engins explosifs. Une histoire passionnante, mais aussi un constat édifiant : l'utilisation de la violence apparaît comme la suite logique et difficilement contestable de la distribution de tracts et des manifestations silencieuses. Quand on pose des bombes, on obtient malheureusement des résultats bien plus vite qu'en poussant un simple coup de gueule. Une triste réalité qui afflige le spectateur aussi bien que les narrateurs-acteurs, qui auraient bien aimé pouvoir agir différemment. Aujourd'hui, à plus de soixante ans, ils dressent le constat amer de leurs années de lutte. Regrets, remords, tout y passe. The weather underground tire sa force de ces témoignages objectifs et rigoureux, pour devenir un film somme poignant en diable sans jamais oublier d'être intelligent. Chapeau bas.
8/10

28 octobre 2006

MARY

Une actrice en pleine crise mystique. Un réalisateur jouant Jésus dans son propre film. Un présentateur d'émission religieuse. Un film s'inspirant de la sacro-sainte Marie-Madeleine. Est-ce que ça fait envie? Boarf. On peut légitimement craindre un excès de bondieuserie. On peut aussi également avoir foi en Abel ferrara, réalisateur pas comme les autres, capable du meilleur comme du pire, pouvant transcender un sujet ou le massacrer.
La bonne nouvelle, c'est que le Ferrara de Mary est extrêmement en forme. De toutes ses réalisations, il s'agit là de la plus délicate et de la plus posée. Ferrara prend son temps (bizarre pour un film de 1h20), pose des tas de questions sur la foi qui intéresseront même les plus païens d'entre nous... mais l'essentiel est ailleurs. Mary est un film véritablement possédé par une sorte de grâce divine. Comme un long flottement, un voyage en toboggan vers le paradis. Un film susceptible de faire naître le doute chez les plus sceptiques (dont je suis) : et si? Hein?
Drame mystique d'une force rare, Mary détonne dans la filmographie de ferrara, même si ce n'est pas plus étonnant que ça. Le réalisateur a toujours été attiré par la frontière entre la lumière et l'ombre, entre réel et irréel. Ici, à l'aide d'acteurs magnifiques (en particulier Binoche, dans son meilleur rôle haut la main), il transcende son univers et frappe à la porte du paradis. Tout simplement.
8/10

22 octobre 2006

MAUVAIS ESPRIT

D'un côté, Patrick Alessandrin, réalisateur du pas déshonorant 15 août, amusant règlement de comptes entre hommes et femmes. De l'autre, Laurent Chouchan, scénariste surcoté du nullot mais pas détestable Tanguy. Comment un duo si inoffensif a-t-il pu être à l'origine d'un navet tel que ce Mauvais esprit? En voulant faire du mauvais esprit, justement. Mais un mauvais esprit à la française, donc le pire qui soit.
Dans Mauvais esprit, comédie qui se veut féroce, grinçante et dérangeante, il y a donc du vomi, du vomi, du vomi, mille milliards de tentatives de suicide infantile (à la Bébé part en vadrouille, voyez la subversion du truc), un gros plan sur la foune d'Ophélie Winter au moment de l'accouchement (juste pour casser le mythe), un autre très gros plan sur ce qui est censé être un de ses seins au moment de l'allaitement, des gros mots, de la cocaïne, de la sodomie chez le kiné (un grand noir, forcément)... C'est une sorte de catalogue de gags pas drôles et de provoc facile et débile, le genre de spectacle tellement affligeant qu'il en deviendrait presque divertissant. Sauf que non.
Au moins, Mauvais esprit aurait pu avoir un effet positif (croisons les doigts) : signer définitivement la fin de carrière de Thierry lhermitte, l'un de nos plus mauvais acteurs, qui enchaîne les bides en continuant à encaisser des pactoles inversement proportionnels à son talent. Sauf qu'un Bronzés 3 plus tard, revoilà le Lhermitte au sommet. Espérons au moins que la nouvelle valise de billets qu'il a touchée grâce à la merdasse de Patrice Leconte lui donne envie de prendre de longues vacances. De très longues vacances.
0/10

21 octobre 2006

SPANGLISH

"Tout le monde se parle... mais personne ne s'entend!" : une fois n'est pas coutume, mais l'accroche de l'affiche de Spanglish est claire, précise et pas trompeuse. Une jeune Mexicaine trouve une place de gouvernante chez une famille bourgeoise américaine. Elle finit même par emménager chez eux avec sa fille. Différences de culture, de milieu social, de langue... Pas facile de s'accorder lorsqu'on est diamétralement opposé. Voilà en tout et pour tout l'histoire de Spanglish : un long choc des cultures de près de deux heures, une acumulation de petits soucis plus ou moins importants qui feront prendre conscience à chacun combien il est difficile (mais nécessaire) d'être différent de son voisin. À part une fin un peu plus noire que prévue, le film du très moyen James L. Brooks ressemble à un soap-opéra de qualité correcte, dont on aurait condensé une saison entière en un seul film. Parfois drôle, souvent superficiel, avec des rebondissements minimes mais improbables, Spanglish reste malgré d'autres ambitions un film très hollywoodien et très très surjoué, même par la jolie Paz Vega, qui apporte cependant au film sa plus grande qualité : la fraîcheur d'une brise d'été.
5/10

20 octobre 2006

BOX 507

Lors du braquage de la banque où il travaille, un employé découvre dans l'une des chambres fortes des documents prouvant que la mort de sa fille sept années plus tôt était moins accidentele que l'on croyait... Avec un pitch aussi alambiqué, Box 507 sent le polar machiavélique avec tiroirs dans tous les sens et révélations inattendues tous les quarts d'heure. Il n'en est absolument rien. L'Espagnol Enrique Urbizu a simplement concocté une histoire de vengeance finalement assez basique. L'intérêt de Box 507, outre sa mise en scène ultra efficace, c'est la montée en violence d'un monsieur tout-le-monde qui se métamorphose peu à peu en vengeur pas masqué prêt à à peu près tout pour faire tomber les responsables de la mort de sa fille.
Thriller efficace aux accents écolos, Box 507 est un film plus classique que son résumé mais n'en reste pas moins intéressant dans son implacable crescendo. Dans le rôle principal, Antonio Resines est plus que convaincant. Il va falloir apprendre à se méfier des employés de banque à lunettes.
7/10

19 octobre 2006

THE PERFECT SCORE

Aux États-Unis, il existe un test national nommé S.A.T., sorte d'examen géant permettant aux meilleurs élèves de choisir leur université, aux moyens de récolter les miettes restantes et aux gros nuls de se débrouiller tout seuls. Parce qu'ils sont grave en galère, parce que leur reum voudrait qu'ils fassent un truc de leur life ou tout simplement pour le fun, six djeunz dans le vent vont tenter de piquer les corrigés du test à venir. D'où une comédie gentillette entre teen-movie, petit film de casse et réflexion légère sur l'avenir de nos jeunes.
Sans casser trois pattes à un canard, The perfect score est un film très divertissant, drôle parfois, cliché souvent, qui ravira nos amis les ados ainsi que leurs grands frères. Il faut dire qu'un inédit avec Scarlett Johansson est toujours bon à prendre. Celui-ci date de 2004 et fait prendre conscience à quel point la petite a grandi vite. À pas encore 20 ans, et dans un rôle d'ado rebelle mal dégrossi, elle possédait déjà un charme certain ainsi que tous les atouts nécessaires à sa réussite. C'est trivial, oui, mais pour un jeune mec plein de testostérone, c'est bigrement exaltant.
5/10

18 octobre 2006

TOUT EST ILLUMINÉ

Pour apprécier Tout est illuminé le film, il est impératif de faire abstraction de la lecture du livre (ce qui est très aisé quand on ne l'a pas lu, un peu plus délicat sinon). Le livre de Jonathan Safran Foer est un fourre-tout de génie, une réflexion sur le langage fascinante et hilarante mêlée à une aventure humaine émouvante liée au souvenir et à l'héritage des ancêtres. Le genre de bouquin strictement inadaptable en bonne et due forme. Alors forcément, quand c'est Liev Schreiber, sympathique acteur indé, qui s'y attèle en solo pour sa première réalisation, il ne faut pas s'attendre à un miracle.
Première surprise dès l'introduction : Alex, jeune ukrainien malhabile, parle un anglais quasi-parfait, en totale opposition avec ce que raconte le livre (où sa syntaxe improbable est à pisser de rire). Gasp. D'autres déconvenues arrivent juste après, et l'on se dit que non, Tout est illuminé ne peut décidément pas être vu comme une adaptation du livre de JSF. Alors hop, métamorphose, lavage de cerveau, et l'on tente d'oublier le bouquin en quelques secondes. Et là, ça fonctionne. Car Schreiber offre une mise en scène très inventive et une direction d'acteurs inspirée, avec un Elijah Wood méconnaissable en écrivain tardant à enlever le parapluie qu'il a dans l'urêtre.
Le film joue surtout sur la corde sensible, mais le fait avec une telle délicatesse qu'on ne peut finalement qu'adhérer au propos. D'autant que Schreiber s'attarde juste comme il faut sur le devoir de mémoire pour que ce soit édifiant sans être complaisant. Ça donne envie de (re)lire le roman, l'un des trucs les plus géniaux que le vingt-et-unième siècle ait produit. Sans vraiment lui rendre justice, mais sans le trahir non plus, le film de Liev Schreiber est un joli voyage à la poséie contenue, qui en fera larmoyer plus d'un.
7/10

02 octobre 2006

L'HOMME QUI AIMAIT LES FEMMES

Bertrand Morane est un sacré zigoto. Un jupon qui passe, un parfum qui traîne, et le voilà dans tous ses états. Coureur, cavaleur, dragueur? Non, pardi! Bertrand Morane est juste un homme qui aime les femmes. Et François Truffaut un cinéaste en forme d'escroc.
Pendant deux heures, le film suit un type à l'affût, prêt à tout pour séduire la moindre bonnasse (ou pas) qu'il croise... Pas de scrupules à inventer d'énormes bobards ou à provoquer des accidents, puisque ce n'est que pour l'amour des femmes. Alors que le Morane en question ne cherche évidemment qu'à baiser un max, des blondes, des brunes, des rousses, des petites à gros seins, des grandes à petits seins, et caetera, pour compléter une collection certes plus intéressante que des vignettes Panini. Ce qui est suprêmement agaçant, c'est que Truffaut fait tout pour faire de cette chasse à la baise le simple récit d'une course après l'amour. Faux. Archi-faux. D'autant que Charles Denner, dans le rôle-titre, accentue ce côté pervers pépère, avec son regard lubrique et sa démarche de petite gouape.
Au bout d'un moment, comme conscient que son personnage risque de passer pour un obsédé, Truffaut lui fait écrire son autobiographie. Puis, quelques scènes plus tard, un comité de lecture émettra la même opinion négative que le spectateur (mais le film les fait passer pour de simples frustrés coincés du cul), tandis qu'une femme, une seule, la plus belle, criera haut et fort la beauté d'un tel texte et la grâce d'une telle existence. Il faut avouer que c'est bien joué. Mais ça ne suffit pas à nous convaincre de l'intérêt et de la pertinence d'un tel ramassis d'inepties. Une fois de plus, un film de François Truffaut montre à quel point la réputation de son auteur est galvaudée. De sa filmographie longue comme le bras n'émergent qu'une ou deux vraies réussites, tandis que le reste sonne encore plus faux après des années passées à l'encenser.
3/10

01 octobre 2006

SISTERS - SOEURS DE SANG

Sacré Brian DePalma. Au fil d'une filmographie honteusement célébrée, il nous a offert quelques monuments de n'importe quoi, des trésors incongrus au ridicule manifeste. Sisters n'échappe pas à la règle : après un prologue en forme d'émission de télé-réalité sur le thème du voyeurisme, DePalma nous offre ce qui fera plus tard le succès de quelques-uns de ses films suivants. On s'attache à un personnage principal, qui sera buté par la suite froidement, violemment, avec plein de sang partout (au passage, le faux sang de Sisters est sans doute le moins crédible de l'histoire du cinémé). Ensuite, c'est un tout autre personnage qui prend le relais pour mener l'enquête. Au menu : troubles du comportement, anomalies psychiques, manipulations cérébrales. Et surtout, grand-guignol. Les méchants font aussi peur que ma tante Berthe, les rebondissements sont soit abracadabrants soit parfaitement prévisibles, et aucun acteur n'y croit (et pour cause).
Il y a deux possibilités pour ne pas totalement sombrer devant ce film : soit le prendre au millième degré (et alors c'est très drôle), soit se concentrer sur la mise en scène de DePalma, qui à défaut d'être un bon cinéaste, n'a jamais été manchot avec une caméra (et alors c'est assez intéressant). Pas moyen en revanche de se passionner pour ce film ridicule qui annonçait à lui seul la carrière catastrophique de son réalisateur.
2/10

EN CHAIR ET EN OS

On a souvent reproché à Pedro Almodóvar de faire dans l'excès, l'hystérie, le trop plein. Et moi le premier. Alors quand le brave Pedro se ramène avec en poche l'adaptation d'un polar de Ruth Rendell, simple et resserré, on crie au génie. Parce que pour une fois, le héros du film, ce n'est pas la provoc ni les fanfreluches, mais bel et bien cette quintette de personnages sombres et meurtris. Cinq êtres humains à côté de leur pompes, qui ont raté leur vie à des degrés divers. Le metteur en scène espagnol appose tranquillement à la description de ces destins mêlés un léger imbroglio policier, qui déliera les langues et amènera des hommes et des femmes au bord du gouffre à faire le dernier pas. Désespérant comme pas deux, tendu dans ses scènes de sexe comme dans l'action la plus violente, En chair et en os est la vraie révélation du talent d'Almodóvar, capable d'épurer son univers pour raconter n'importe quelle histoire, tout en conservant un léger grain de folie. Dans le rôle-clé du film, Javier Bardem, magnifique, plus hauit que tout le monde dans son fauteuil roulant, est le plus beau personnage de toute la filmographie almodovarienne. Chapeau.
9/10

THE SECRET LIFE OF WORDS

Une plate-forme pétrolière. Elle est une infirmière sourde et qui roule les 'r'. Il a temporairement perdu la vue et est partiellement brûlé suite à un accident. En attendant qu'il soit évacuer, elle est là pour s'occuper de lui. Les deux cachent des secrets qu'ils attendront une heure et demie avant de se dévoiler. Deux personnages originaux et intrigants pour une trame finalement très classique : un duo d'inconnus méfiants et mutiques s'apprivoisent avant de se montrer leur part d'ombre respective. Malgré son désir de raconter les choses autrement, malgré son sens de l'ellipse et l'épure de ses dialogues, Isabel Coixet ne parvient pas vraiment à aller au-delà de la surface des choses. Son précédent long, Ma vie sans moi, souffrait déjà du même mal : une histoire déchirante vue d'un point de vue relativement audacieux ne suscitait déjà qu'un ennui poli.
Néanmoins, une mise en scène discrète et une interprétation convaincante (mais Sarah Polley et Tim Robbins sont rarement décevants) font de The secret life of words un film gentiment touchant sur la solitude et les blessures du passé. Ça sonne comme un cliché? Sans doute parce que ça l'est. Cinéaste délicate mais artificielle, Isabel Coixet montre de telles limites qu'il vaudrait mieux pour elle qu'elle s'attelle à des sujets plus modestes.
5/10