30 janvier 2007

CONVERSATION SECRÈTE

Harry Caul dirige une petite société d'écoute. Travailleur scrupuleux et intègre, il est chargé de surveiller les faits, gestes et propos d'un couple possiblement adultérin. Mais bientôt, Harry Caul a des doutes : et s'il était en train de participer à une opération plus grosse que lui?
Avec un pitch pareil, on pourrait s'attendre à ce que Conversation secrète ne soit qu'un énième film d'espionnage avec manipulations à la clé. S'il fait évidemment partie de cette catégorie, c'est surtout par sa description de la paranoia de son héros que le film de Francis Ford Coppola se distingue. Harry Caul est un homme seul et solitaire, qui ne s'implique jamais dans ce qu'il écoute, et refuse de dire le moindre mot à propos de son travail. Femme, amis, collègues : tous vont le fuir un à un, rebutés par tant de silence. Harry Caul est un mur, une machine de précision qui ne peut supporter qu'un de ses rouages soit mal graissé.
Plus que l'excellent thriller qu'il est aussi, Conversation secrète est donc d'abord le portrait saisissant et mélancolique d'un homme qui a tout donné à son travail. Dans le rôle principal, Gene Hackman est tout simplement ahurissant, sa froideur naturelle se mêlant à un sentiment d'inquiétude permanent. Quant à Francis Coppola, qui tourna ce film entre les deux premiers épisodes du Parrain, il révèle une nouvelle facette de son talent de réalisateur-caméléon. Impossible de reconnaître le style du réalisateuyr d'Apocalypse now ou du Parrain. La mise en scène de Conversation secrète est sobre, glacée, clinique, pour mieux épouser la personnalité du personnage principal. Injustement méconnu dans la filmographie de Coppola, Conversation secrète mérite d'être considéré comme le meilleur film de son auteur.
9/10

27 janvier 2007

EYES WIDE SHUT

Ainsi donc, Eyes wide shut restera à jamais le dernier film de Stanley Kubrick, mais également celui dont le tournage aura été le plus long (près de deux ans). Précédé d'un milliard de rumeurs plus ou moins glorieuses, Eyes wide shut est d'abord un grand film, aussi indéfinissable que peut l'être un film de Kubrick.
Ni film d'amour, ni film érotique, ni autre chose : Eyes wide shut est, en toute modestie, le récit condensé de la vie quotidienne de l'humanité. Non pas que l'aventure nocturne du docteur Bill Harford soit des plus banales ; simplement, sur quelques jours, Kubrick montre comment naissent et perdurent des sentiments universels comme la jalousie, la curiosité, l'envie, la luxure... c'est-à-dire en fait les sept péchés capitaux, auxquels on ajoute quelques sentiments dérivés.
Étape par étape, saynette par saynette, Kubrick décrypte la vie d'un couple quasi ordinaire, aux désirs troubles et aux rêves déchus, qui va vivre une crise à distance pendant quelques jours. Bien que visiblement fragmenté, il faut voir Eyes wide shut comme un grand tout : au chevet d'une mourante, dans l'échoppe d'un loueur de costumes ou dans une boîte de jazz, Bill Harford cherche simplement le sens de sa vie, et si l'on ne voit pas sa femme Alice pendant tout ce périple, on devine que de son côté, elle effectue un voyage immobile aussi perturbant.
La conclusion laconique de Kubrick, qui va bien au-delà de la dernière réplique du film, c'est que seul le sexe peut nous sauver. D'où problème, puisqu'il vient tout juste de montrer que c'est justement le sexe qui nous fout dans la panade. Jusqu'à la fin de sa vie, ce cher Stanley aura été un sacré petit emmerdeur de talent.
8/10

25 janvier 2007

ICE STORM

Tempête dans un verre d'eau. Dans une petite ville du Connecticut, en plein Watergate, deux familles vivent des crises à tendance hormonale, tandis que dehors, une tempête de neige gigantesque s'apprêt à déferler. Les ados découvrent le sexe opposé, les adultes sont bien tentés d'aller voir si l'herbe n'est pas plus verte ailleurs... Et Ang Lee de livrer une radiographie glaçante et glacée d'une société américaine vivant un sale moment.
La métaphore de la tempête de neige peut sembler un peu lourde : à mesure que les évènements de déroulent et que l'on s'approche de l'implosion psychique, les conditions météorologiques se font plus rudes. Mais peu importe : le film d'Ang Lee est un monument délectable sur les frustrations sexuelles, les tentations infernales et les perversions cachées. Qu'une jeune ado délaisse son petit ami potentiel pour aller montrer sa foufoune au petit frère, ou que le couple en froid aille régler ses comptes à l'occasion d'une soirée échangiste, il y a dans Ice storm une acidité permanente et franchement délicieuse qui prêt à rire et à réfléchir.
Bien aidé par un casting royal (Kevin kline, Sigourney Weaver, Joan Allen), Ang Lee et son fidèle comparse James Schamus livrent un film essentiel dont la conclusion pourrait sembler moraliste s'il n'y avait pas de détachement permanent pour nous empêcher de compatir. On a rarement vu une tempête aussi belle.
8/10

MORT DE RIRE

Cinéaste loufoque par excellence, Alex de la Iglesia a toujours connu une carrière assez confidentielle en France, ne réussissant à vraiment percer que dans son Espagne natale. En témoigne ce Mort de rire de bonne facture, inédit datant de 1999 et que l'on n'a pu découvrir qu'il y a quelques mois en DVD.
Incarné par deux acteurs très célèbres en Espagne, Mort de rire raconte la rivalité mortelle qui unit les membres d'un duo comique. Comme si Roger Pierre et Jean-Marc Thibault, excédés de devoir partager les cachets et la gloire en deux, décidaient de tout faire pour humilier l'autre jusqu'à trépas. Comme souvent chez Alex de la Iglesia, l'idée de départ est bonne mais se retrouve un peu noyée sous des flots d'hystérie. Pourtant, Mort de rire tient bien mieux que la plupart de ses autres films, et malgré son côté répétitif, le film tient toutes les promesses de son sujet.
Ce qu'il y a toujours de jubilatoire chez le cinéaste espagnol, c'est la renaissance perpétuelle d'un style reconnaissable entre mille, qui donne le beau rôle aux moches, aux médiocres, aux sales. D'abord infériorisés, ceux-ci finissent toujours par transformer leurs complexes en agressivité et en méchanceté pure, ce qui donne aux films d'ADLI (et à celui-là en particulier) une énergie rare et une cruauté délectable (comme le Chatiliez de Tatie Danielle mais en bien). Et si le spectateur n'est pas tout à fait mort de rire, force est de constater qu'il en redemande.
7/10

24 janvier 2007

L'HOMME EST UNE FEMME COMME LES AUTRES

L'homme est une femme comme les autres. Un titre en forme de remarque laconique, qui ne veut peut-être pas dire grand chose, mais a le mérite de donner le ton de cette drôle de comédie. Le deuxième film de Jean-Jacques Zilbermann prend pour héros Simon, clarinettiste juif dont l'homosexualité semble poser problème à toute sa famille. Quand son oncle richissime lui promet une très grosse somme d'argent à condition qu'il se marie, le sang de Simon ne fait qu'un tour. Il rencontre la charmante Rosalie...
Comme dirait Desproges, ne voyez dans ces points de suspension aucune trace de soudaineté. L'homme est une femme comme les autres est une comédie douce-amère qui prend le temps de laisser vivre ses personnages, quitte à laisser de côté le récit. De là à dire que le film fait du surplace, il n'y a qu'un pas. Pourtant, le ton légèrement décalé de Zilbermann et l'indéniable attraction exercée par les comédiens emportent largement le morceau. Il y a Antoine de Caunes, plus homme que jamais, affûté comme un dieu grec, et dont l'oeil ne cesse de pétiller. Et il y a Elsa Zylberstein, légère et candide, fraîche comme la rosée. On sent entre les deux moitiés de ce couple impossible une vraie complicité, qui pourrait bien se mouvoir en attraction sexuelle. C'est tout le suspense de L'homme est une femme comme les autres : Simon va-t-il revirer sa cuti? La réponse n'est ni trop fantaisiste ni trop moraliste. Et la désinvolture de Zilbermann, l'aspect délicieusement rétro du film et d'excellents morceaux de clarinette (comme chez Woody Allen, référence apparente du réalisateur) parachèvent la réussite de cette comédie mineure mais néanmoins charmante.
7/10

THE GOOD GIRL

Les apparences sont souvent trompeuses, et la médiocrité partout. C'est en substance le message de The good girl, film indépendant dont l'apparence de comédie romantique est vite éclipsée par un propos plus cruel et désabusé.
Rares sont les films sur l'ennui qui parviennent à ne pas être eux-mêmes ennuyeux. Scénarisé par Mike White, plume en devenir (il joue également l'agent de sécurité bigot), l'emmerdement permanent de l'héroïne devient ici un sujet quasiment philosophique, traité avec un mélnage de sarcasmes et d'amertume chronique.
Justine s'emmerde : elle bosse dans un magasin moche avec des collègues stupides, son mari passe son temps à fumer des joints avec un pote obsédé, et elle n'arrive même pas à tomber enceinte. Débarque Holden, jeune type dépressif accro à L'attrape-coeurs, dont on pense un temps qu'il va la sauver en l'arrachant à ce monde vraiment trop pénible pour elle. Mais non : pas de romance qui tienne. Comme les autres, Holden se révèlera être un misérable petit gamin nombriliste que seul son prétendu génie intéresse. C'est là que The good girl tient du miracle : potentiellement déprimant de part en part, il lâche à intervalles réguliers de grandes giclées d'humour plus ou moins noir qui donnent à ce cocktail un goût très particulier. Dans le rôle principal, Jennifer Aniston fait des merveilles, à des lieues de la Rachel Greene que tout le monde connaît. Et si son talent d'actrice hors "Friends" peine à se confirmer, nul doute que des réalisateurs comme Miguel Arteta finiront par la transcender à nouveau. On parie?
8/10

23 janvier 2007

LES GRANDS DUCS

Aah, le théâtre de boulevard. Olivier Lejeune, Micheline Dax, George Beller... tant de grands acteurs au service de pièces souvent hilrantes, diamants bruts taillés avec précision et respect du public. Portes qui claquent, amant dans le placard, enfilades de quiproquos. C'est à ce genre ô combien méprisé (à juste titre) que Patrice Leconte rend hommage dans Les grands ducs, film mineur et méprisé (mais à tort).
Leconte retrace les grandes lignes de la tournée de la pièce "Scoubidou" (pour le résumé, voir le premier paragraphe), incarnée (c'est le mot) par trois vieux cabots qu'on pourrait dire en fin de carrière s'ils avaient eu une carrière. Ringards, mauvais comme des cochons, jouant les divas, nos trois compères sillonnent les routes à la recherche d'une gloire tardive. Tout cela aurait largement suffi ; malheureusement, et c'est là le gros défaut du film, Leconte injecte là-dedans une histoire de tourneur véreux (Michel Blanc, déjà affublé d'une moumoute, dix ans avant Les bronzés 3) qui rend parfois le film un peu trop proche de ce qu'il dénonce.
Mais peu importe : l'essentiel, c'est le trio de comédiens. Jean Rochefort, Jean-Pierre Marielle et feu Philippe Noiret, trois piliers d'un cinéma de papa en voie de disparition, sont tout simplement géniaux, chacun allant puiser dans l'excès aussi loin qu'il le peut. A ce petit jeu, et d'une courte tête, c'est sans doute JPM qui l'emporte dans le rôle de la forte tête jamais très loin du pétage de plomb. En fait, avec un scénario totalement vide, Les grands ducs aurait quand même fonctionné, tant le numéro de ces trois-là est divin. Et ce genre de film fait salement regretter que Leconte s'apprête à arrêter le cinéma. Snif.
7/10

20 janvier 2007

WAY OF THE GUN

Le scénariste de Usual suspects est décidément un petit malin : plutôt que de mettre à profit son art de la construction machiavélique, Christopher McQuarrie a choisi avec Way of the gun de livrer un produit bien différent du film de Bryan Singer. Way of the gun se déroule comme une partie d'échecs : il y a autant de pions que de paramètres importants, c'est-à-dire beaucoup. Certains avancent en diagonale, d'autres un peu en crabe, à la manière d'un cavalier. Hommes de main, truands opportunistes et bourgeois richissimes : tous se pressent autour du personnage-clé du film, une mère porteuse dont le bébé vaut 15 millions de dollars. Le placenta doit être en or massif.
Polar tranquille, avec quelques montées d'adrénaline en cours de route, Way of the gun ressemble à une version très noire d'un roman de Raymond Carver (et donc d'un film de Robert Altman). McQuarrie peint ses personnages par petites touches, avec une préférence avérée pour le duo Ryan Phillippe / Benicio Del Toro, deux types un peu désabusés et franchement pas bavards, mais qui n'en pensent pas moins. Là où le scénario est très malin, c'est que même les "méchants" finissent par susciter la sympathie (notamment le doucereux James Caan).
On sent bien que la première heure et demie a été savamment bâtie pour aboutir de façon cohérente et naturelle au climax du film. Trente dernières minutes à couteux tirés, où les coups pleuvent et les corps tombent. Mais fort heureusement, le chemin qui mène au sommet final est tout aussi intéressant. Way of the gun ressemble à un jeu de stratégie grandeur nature, où il s'agit de se placer le mieux possible afin de pouvoir emporter la partie de paint-ball finale. Mise en scène au cordeau, écriture précise, dialogues laconiques : pour son premier (et, jusqu'alors, dernier) film en tant que réalisateur, Chris McQuarrie a frappé fort.
8/10

17 janvier 2007

SCARLET DIVA

Asia Argento est une fille très tordue. On entendrait presque les chauve-souris voler à l'intérieur de son crâne. Est-ce dû à la drogue? Ou au fait que papa Argento semble être un type complètement barré? Toujours est-il que la petite Asia, que ce soit dans les films qu'elle interprète ou dans ceux qu'elle réalise, montre que sa psychologie est un peu spéciale et les fantômes qui la hantent franchement torturés.
Mais miss Asia est également une fille intelligente. Cela se sent. Dans sa voix, dans ses yeux. Et également dans ses films. Scarlet diva, objet hétéroclite et inhabituel, montre que la jeune femme n'est pas qu'un joli corps. Difficile de résumer le film, essentiellement constitué des errances psychiques et géographiques d'une jeune actrice italienne plutôt en vogue. Scarlet diva doit surtout être vue comme le SOS d'une terrienne en détresse, une fille paumée au caractère instable. Celle qui dans le film se nomme Anna Batista (mais aurait tout aussi bien pu se nommer Asia Argento) joue les chaudasses mais a toujours sa virginité, multiplie les expériences étranges mais rêve d'un amour sage et noble, et sillonne le monde pour tenter de savoir d'où elle vient... Parfois brouillon, toujours saisissant, Scarlet diva interpelle, choque, touche. Mais ne laisse jamais indifférent.
Si elle n'a pas forcément grand chose à raconter, Argento sait en tout cas comment exprimer son mal-être. Et par de multiples expérimentations de mise en scène, finit par livrer un curieux objet qui parvient à rester très trash tout en étant attachant. Certains reprocheront au film d'être trop maniéré et provocateur. Peut-être. À vrai dire, on s'en fout : Asia Argento est avant tout une cinéaste différente et sincère, et c'est tout ce qui compte.
7/10