30 mai 2006

LA SENTINELLE

Étudiant en médecine légale, Mathias Barillet trouve une tête momifiée dans sa valise. Objet étrange et fascinant qui va le pousser dans ses retranchements les plus intimes. Ou comment un jeune cinéaste nommé Arnaud Desplechin débarque dans le cinéma français et colle une grande baffe à tout le monde.
Plus encore que la timorée Vie des morts, La sentinelle marque la naissance d'un style unique et reconnaissable entre mille. Le cinéma de Desplechin, fait d'angoisses personnelles, de grandes questions métaphysiques et de discussions mondaines, est un univers fascinant parce que complètement neuf. Qu'importe le point de départ du scénario (ici, un postulat digne d'un film d'espionnage ; là, une pure base de drame...) : le cinéma de Desplechin importe moins par ce qu'il raconte que par ce qu'il dit vraiment. La fascination de Mathias pour cette tête repoussante, son obstination à en découvrir l'origine, tout cela n'est que la métaphore à peine voilée de la vie d'un jeune homme qui court après lui-même. Employant un casting riche et foisonnant (Salinger, Devos, Denicourt, Amalric, Desplechin frère...), Arnaud Desplechin livre un film plein, à la fois joyeusement bavard et extrêmement angoissant, où Freud cotoie Corneille et où les thèmes les plus lourds peuvent devenir légers comme des plumes. C'est ce qu'on appelle du grand cinéma.
9/10

28 mai 2006

PEAU DE COCHON

Ce qu'il y a éventuellement d'agaçant avec Peau de cochon, c'est qu'il s'agit d'un film qu'on aurait tous pu faire. Un camescope pas forcément dernier cri, avec un petit micro pas trop pourri, et un logiciel de montage basique, histoire de juxtaposer douze plans-séquences. Et attention, pas des plans-séquences précis et storyboardés, chiadés à grands coups de steadycam, non, du bon gros plan-séquence amateur, avec la petite caméra qui a servi à filmer l'anniversaire de la petite et le départ à la retraite de Marcel mon beau frère.
Critiques compréhensibles mais néanmoins très faciles. Trop faciles. Car malgré (ou grâce à?) son côté terriblement artisanal, Peau de cochon flirte sans cesse avec le génie et le très grand cinéma.
Ça commence par une scène touchante : Dominique A, grand ami du réalisateur Philippe Katerine, redécouvre le gentil petit album qu'il a enregistré sur un magnéto tout pourri à l'âge de douze ans. Émotion, et stupeur : déjà le talent était là. On en tremblerait presque. Pas besoin d'effets de mise en scène ou de belles lumières : l'essence même du cinéma se trouve dans ce premier plan.
Ensuite, dans le formidable segment nommé "1 km à pied", Katerine arpente les rues de son enfance, et les souvenirs stupides et/ou singuliers remontent peu à peu à la surface. "Ici, j'ai vu une flaque de sang", "Là, je me suis pété le bras", "Dans cette maison, un de mes copains a regardé son frère baiser". C'est à la fois incroyablement drôle (d'autant que la voix de Katerine amplifie chaque effet sans même le vouloir), vraiment émouvant et foutrement original sous ses abords de film-amateur.
Il y a douze courtes séquences comme celle-là, rivalisant toutes de singularité et de génie. L'air de rien, Peau de cochon dresse le portrait d'un homme à travers ses manies et ses travers. Un type un peu psychotique, amoureux, jaloux, plein de malaise face aux conflits, mais incroyablement généreux. Un mec si différent que l'on trouverait presque un vrai sens à ses obsessions. Katerine collectionne ses étrons, qu'il range dans de petits Tupperware, et lorsqu'il fait découvrir le plus beau de son oeuvre à Thierry Jousse (critique de renom et réalisateur doué), on est d'abord tenté de rire (forcément, le caca, tout ça, c'est drôle). Puis une fois de plus, une sorte de magie complètement zinzin opère, et on regarde cette collection de merdes avec un émerveillement quasi enfantin, comme il les voit lui-même.
Sous une allure complètement anecdotique, Peau de cochon est un monument, le chef d'oeuvre du home-made cinema. Ça donne envie d'empoigner sa petite caméra et d'aller filmer le monde. pas sûr qu'on le fase avec le même génie que ce drôle de bonhomme qu'est Philippe Katerine.
9/10

27 mai 2006

BUFFALO '66

Vincent Gallo est moins connu pour ses films que pour sa réputation de casse-couilles suprême, imbu de lui-même à tel point qu'il vend sa propre semence sur son site internet en échange d'un petit million de dollars (si vous êtes intéressé, c'est en bas de cette page). Tout cela est fort dommageable, puisque Gallo est d'abord un artiste hors pair.
Sur Buffalo '66 comme sur son deuxième film, The brown bunny, Gallo endosse rien de moins les capes de réalisateur, scénariste, acteur principal, compositeur, monteur. Exigeant comme pas deux, il effectue toutes ces tâches avec un brio égal. Il a certainement préparé tous les sandwiches pour l'équipe, et ils devaient être délicieux.
Mais revenons à Buffalo '66 : ça valait vraiment la peine de se fâcher avec tout le monde (Anjelica Huston et Christina Ricci refusent de lui adresser la parole) pour pondre un tel bijou. Si Buffalo '66 impressionne, c'est d'abord par ses qualités de mise en scène. Split-screen, changements de points de vue, montage au cordeau : Gallo maîtrise tout, et atteint un degré de perfection rare dans le maniement de la caméra. On pourrait citer une formidable scène de dîner à quatre (filmée subjectivement, empruntant tour à tour les yeux de chacun des protagonistes) ou le plan d'un lit vu du plafond, mais tout cela ne serait que détail face à la maestria, l'originalité et la cohérence dont le film tout entier fait preuve.
Comme un excellent exercice de mise en scène ne fait pas tout à fait un film, Gallo n'a pas oublié de raconter une histoire. Souvent cruel, extrêmement drôle, surprenant lorsqu'il bascule dans une tendresse un peu sucrée mais pas gratuite pour autant, le scénario renferme des trésors d'inventivité et d'imagination.
Et comme le prodigieux metteur en scène cache également un formidable directeur d'acteurs, qui se fout de se mettre tout le monde à dos pourvu qu'il obtienne la réaction souhaitée, Buffalo '66 subjugue par les prestations de ses comédiens. Il y a entre autres Christina Ricci, brave fille un peu nunuche et très maternelle ; Anjelica Huston, mère indigne prête à dire des horreurs sur son rejeton ("je n'aurais pas dû t'avoir" et autres réjouissances) ; et Ben Gazzara, papy lubrique et un brin ringard. Mais une fois de plus, le meilleur se nomme Vincent : Vincent Gallo, homme-enfant, psychorigide et tatillon, engoncé dans son mal-être, qui pourrait bien évoluer un peu et devenir un autre homme.
Buffalo '66 donne envie de faire du cinéma et d'acheter des cookies en forme de coeur à celle qu'on aime. Sans doute les deux plus beaux compliments qu'on puisse faire au film.
9/10

26 mai 2006

LE FESTIN NU

Bienvenue dans l'Interzone.
Le festin nu fait passer Las Vegas Parano pour une aventure du Clan des Sept. Exit peyotl, éther et autres douceurs : la mode est à l'insecticide. Ça permet de rencontrer des machines à écrire mutantes, qui ressemblent à des gros cafards baveux munis d'une sorte de vagin, et qui sont en plus de redoutables espions à la solde de l'ennemi communiste. William S. Burroughs était un homme et un auteur complètement barré, dont le héros est une sorte de double aussi siphonné que lui, ni plus, ni moins.
L'occasion rêvée pour David Cronenberg de remettre un coup de vernis putréfié sur ses propres obsessions. La paranoia, les identités multiples, l'interaction entre fantasmes et réalité... Le canadien brasse ces thèmes avec une jubilation et un savoir-faire aussi étonnants qu'éprouvants. Car Le festin nu n'est pas un film facile : c'est une sorte de condensé d'austérité et de froideur, tout le contraire d'un trip pour adolescents en quête de sensations. À cet égard, le choix de Peter Weller dans le rôle principal s'avère crucial : il a un côté glacial et inhumain (un vieux restant de RoboCop, sans doute) qui colle parfaitement avec l'esprit du film. Un film à ne pas mettre entre toutes les mains, mais sans doute le meilleur de Cronenberg, car le plus exigeant et le moins consensuel (dans une oeuvre où la part de consensus est quand même assez faible).
9/10

25 mai 2006

MA VIE SANS MOI

Une jeune femme de 23 ans, technicienne de surface (c'est tellement plus joli), qui élève ses deux filles dans une caravane, apprend qu'ele n'a plus que quelques semaines à vivre. Elle décide alors de faire la liset de ce qu'elle aimerait faire avant de mourir. Et alors...
Et alors quoi? Ma foi, pas grand chose. Isabel Coixet a voulu jouer la carte de la pudeur, pour toucher le coeur des spectateurs sans faire dans le racolage. Si on peut lui en être reconnaissant, on peut cependant esquisser quelques regrets. À vouloir être trop pudique, la réalisatrice espagnole en oublie presque de traiter son sujet. Et les scènes se succèdent, jamais vraiment mauvaises mais sans la moindre étincelle. Quand arrive la fin, on est surpris, parce que Ma vie sans moi donne l'impression de n'être que le papier calque qui aurait dû servir à copier le film sur du vrai beau papier. Et malgré l'excellente Sarah Polley, le film s'oublie vite. Dommage : les bons films sur la mort sont très rares. Et ce n'est malheureusement pas celui-là qui fera office de modèle.
5/10

23 mai 2006

SEXY BEAST

Un ex-braqueur savoure sa confortable retraite du côté de l'Espagne. Jusqu'à ce que débarque son ancien supérieur, bien déterminé à le faire rempiler pour un dernier casse. Une guerre psychologique commence. Et on flippe un peu.
Car le coup du dernier braquage pour la route, le cinéma américain nous l'a déjà servi dix mille fois. Heureusement, le scénario de Sexy beast vise autre chose. Le bras de fer entre les deux hommes (Ray Winstone, gras et furibard d'être ainsi dérange, contre Ben Kingsley, allumé et imprévisible) dure une bonne heure. C'est donc sûr : on n'est pas dans un film de braqueurs mais dans un thriller psychologique, où chacun peut péter les plombs à n'importe quel moment.
Comme dans son film suivant (le très bon Birth), Jonathan Glazer décrit ce qui se produit lorsqu'un individu extérieur vient perturber une jolie biosphère bien douillette. Sexy beast ne possède pas la force de Birth, où le malaise se même sans cesse au trouble. Il possède cependant une certaine force due au côté imprévisible de son intrigue. Et si le dénouement finit par décevoir, reste que Sexy beast est un coup d'essai intéressant, à voir au choix comme une sorte de brouillon de Birth ou comme une variation sur le même thème.
5/10

22 mai 2006

DANS TES RÊVES

Il y avait de l'ambition dans le projet Dans tes rêves. Vouloir faire un 8 mile à la française, qui mette en avant le rap et guillotine les clichés. Choisir Disiz la Peste en lieu et place d'Eminem? Pourquoi pas. De toute façon, on fait avec ce qu'on a. En tout cas, pour un non-fan de rap, rien de bien choquant.
Malheureusement, le rêve ne devient jamais vraiment réalité. Sur un thème aseptisé (le bon rappeur deviendra-t-il la star du joli spectacle, ou le méchant rappeur prendra-t-il sa place?), Denis Thybaud signe un simple "film de banlieue" de plus, où les bons sentiments ("respect, mon frère") noient les intentions louables. Restent quelques moments vraiment bons, notamment des scènes de comédie pas désagréables. Mais dès que le film tente de basculer dans le tragique, il atteint des sommets de gnangnan, et la fin, loin d'émouvoir son monde, faire gentiment rire.
Il n'empêche, Dans tes rêves signe peut-être la naissance d'un acteur : Serigne M'Baye, alias Disiz la Peste, est un héros franchement convaincant. En étoffant un peu son jeu, le garçon a tout pour devenir un acteur à part entière.
4/10

21 mai 2006

HAPPY ENDINGS

Don Roos a toujours eu la prétention d'être un scénariste pas comme les autres. Même lorsqu'il écrit des comédies romantiques, il tente toujours d'y injecter quelques grammes de vraie subversion. Et pas de la subversion consensuelle, non, de la vraie de vraie. Ça ne fonctionne pas toujours (euphémisme), mais il a au moins le mérite d'essayer. En témoigne ce Happy endings, inédit dans nos salles.
Première scène : une femme (Lisa Kudrow) court, court, et se casse la gueule sur une route, où elle se fait violemment percuter par une voiture. Rassurez-vous, nous prévient un carton, elle ne mourra pas, puisque nous sommes dans une comédie. Puis Happy endings poursuit dans cette quête de narration originale, ce désossement partiel des codes du cinéma. La sempiternelle voix-off est remplacée par de nombreux cartons, qui fourmillent de détails plus ou moins utiles mais souvent très drôles. Un bon moment en perspective.
Et puis la routine fait son apparition, les codes hollywoodiens aussi, et on se retrouve en présence de trois histoires croisées, de qualités diverses, et à la tendance mélodramatique assez poussée. Même s'il reste dans ce mélange des tas de sous-entendus sexuels et des pans de comédie grinçante, le film se fait de plus en plus classique, de moins en moins excitant pour l'oeil et le cortex. Jusqu'à la dernière demi-heure, où la narration par cartons reprend le dessus, et nous prévient gentiment qu'on va avoir droit à un enchainement de fins, puisque qui dit tranches de vie dit tranches de fins. À ce moment, Happy endings retrouve un peu de l'intérêt qu'il avait suscité au départ.
Trop long, assez moche, le film vaut également d'être vu pour quelques-uns de ses comédiens, notamment Steve Coogan, et surtout Maggie Gyllenhaal, alors inconnue, dans un rôle de salope cosmique à la fois séducteur et vraiment drôle.
5/10

18 mai 2006

THE CORPORATION

Et si on voyait l'entreprise comme un être humain à part entière? Voilà qui ne change pas a priori grand chose pour celle que l'on qualifie souvent de personne morale dans des domaines proches du droit. Figurez-vous que si l'on tentait d'apprécier les qualités et les défauts de l'entreprise comme on le ferait pour Marcel mon beau-frère, le tableau de ne serait guère brillant. Ah bon?
The corporation part d'une bonne idée, mais il faut le voir pour le croire. Parce que qui ne vit pas dans une caverne sait forcément que les entreprises, c'est pas rose tous les jours, qu'il y a du licenciement, des méthodes douteuses, de l'espionnage, de la corruption, de la pollution, de la discrimination, du harcèlement, de l'hypocrisie, du capitalisme, et autres petites douceurs sucrées. Et parler de l'entreprise plutôt que les entreprises, ça conduit évidemment à faire bien des généralités, certains moins acceptables que d'autres.
Alors, qu'y a-t-il d'intéressant dans The corporation? d'abord la forme. Méthodiquement chapitré, le film tente également d'offrir un vrai divertissement, en multipliant les effets, en montrant des images surprenantes qui soulignent de plus ou moins près les propos énoncés par les interviewés... Loin de distraire, cette forme ludique et plus attirante que la moyenne des docs permet de relancer sans cesse l'attention. Dans un bon documentaire, le propos devrait se suffire à lui-même, mais il n'y a pas de mal à tenter de insérer un peu de cinéma dans le reportage.
Et puis il y a un tas d'anecdotes, édifiantes et souvent bien choisies, qui justifient à elles seules l'existence de The corporation. Un film aux thèses parfois un peu faciles, qui flirte avec les généralités les plus évidentes et qui aurait gagné à être plus compact (2 heures 30, c'est beaucoup trop), mais plutôt plaisant et pas totalement inutile.
5/10

14 mai 2006

ANATOMIE

Véritable carton en Allemagne, Anatomie est un thriller semi-horrifique où des étudiants en médecine un peu trop zélés utilisent des gens vivants pour en faire de jolis écorchés destinés aux cours d'anatomie. D'où, au début, quelques jolies images de corps savamment disséqués alors que toujours vivants. Ensuite, comme l'ennui gagne, on réalise qu'Anatomie aurait gagné a être plus sanglant et viscéral. Pourtant, Stefan Ruzowitzky a choisi de faire d'Anatomie un simple petit slasher où des étudiants se trucident entre eux. Poussif, pas foncièrement original, vraiment pas effrayant, Anatomie remplit à peine son but, celui de divertir un peu. Heureusement il y a Franka Potente, qu'on a connue plus éblouissante ailleurs mais dont la jolie frimousse suffit à justifier bien des films.
4/10

13 mai 2006

CRAVATE CLUB

À l'origine, Cravate club est une pièce de théâtre de Fabrice Roger-Lacan, homme de l'ombre et collaborateur d'Édouard Baer. Il y met en exergue la médiocrité de l'âme humaine, où l'envie et la jalousie dominent. Cravate club montre par le menu la rupture de l'amitié de deux hommes lorsque l'un ne vient pas à l'anniversaire de l'autre pour se rendre au dîner de son club. Un pitch on ne peut plus dérisoire pour un film qui a du sens.
L'argument peut paraître maigre, et certains bailleront sans vergogne devant le dialogue de sourds de ces deux frères ennemis. Pourtant, Cravate club est un délicieux jeu de massacre. Dialogue brillant et cruel, qui récupère chaque petite étincelle pour en faire un brasier de haine.
Le problème de Cravate club le film vient de l'adaptation à l'écran par Frédéric Jardin. Reprenant (à juste titre) les deux interprètes de la pièce, le frère d'Alexandre (c'est pas de sa faute) s'est demandé comment ne pas faire du théâtre filmé. Réponse numéro 1 : en sortant un peu les personnages de leur bureau, où se situait l'intégralité de la pièce, ce qui a pour effet d'effacer en grande partie le côté oppressant des évènements. Réponse numéro 2 : en ne filmant pas de manière statique. Ce qui n'est pas une mauvaise idée à la base mais ne singifie pas forcément tourner sa caméra dans tous les sens et faire des plans alambiqués pour rien. Résultat : la force du texte est en partie annihilée par ce désir d'en faire trop.
En parlant d'en faire trop, si Édouard Baer livre une fois de plus une prestation impeccable, flegmatique mais pas nonchalante, Charles Berling a tendance à aller trop loin dans les excès de son personnage. Ce qui passait bien sur scène est ici un peu plus difficile à avaler.
Reste que le propos de Cravate club en fait un film assez recommandable. Mais mieux vaut tout de même se procurer la pièce.
6/10

PUNCH-DRUNK LOVE

Barry Egan vend des débouche-chiottes dans un entrepôt. Il a sept soeurs hystériques. Il est obsédé par l'idée de gagner des miles en avion grâce à des parts de pudding. Et de temps en temps, il pique des colères prodigieuses. Barry n'est donc pas très équilibré. Jusqu'au jour où en une demi-heure, il trouve un mystérieux piano dans la rue et rencontre la douce Lena.
Difficile de reconnaître ici le Paul Thomas Anderson de Boogie nights et Magnolia. Contrairement aux deux précédents, Punch-drunk love est un film court, une sorte de comédie romantique complètement barrée, loin des fresques dramatiques auxquelles PTA commençait à nous habituer.
Punch-drunk love, c'est d'abord un univers à part, dû à un scénario complètement fantasque. Le personnage de Barry est unique en son genre, et on n'a jamais vu ça. Timide et colérique. Obsessionnel mais très gentil. Pour autant, Anderson n'en fait pas un monstre de foire, mais le traite au contraire comme un personnage complètement normal. Et si Barry parvient à être à la fois indescriptible et crédible, c'est qu'il est interprété par un certain Adam Sandler, jusque là acteur de comédies bas de plafond dont les gros succès au box-office américian ne cachaient pas l'inanité totale. La surprise Sandler est de taille : touchant et convaincant, il révèle un talent qu'on ne lui connaissait pas encore. Jusqu'ici, à part pisser sur des portes cochères ou jouer au badminton avec un âne, on ne le pensait pas capable de grand chose. Le duo qu'il forme avec Emily Watson est d'une fraicheur et d'une spontanéité qui donnent toute sa grâce au film.
Mais Punch-drunk love n'est pas qu'une comédie romantique de plus. Pour faire passer un scénario pareil, où du pudding et un piano tout pourri font office d'enjeu dramatique, il fallait une réalisation rigoureuse et différente. Le prix de la mise en scène attribué au film au festival de Cannes 2002 est mille fois mérité. Conceptuelle sans être prise de tête, elle met merveilleusement en valeur tous les atouts du film.
Difficile de savoir à présent vers quoi Paul Thomas Anderson va se diriger. Après un film comme celui-ci, on peut s'attendre à tout. En tout cas, il lui sera difficile de surprendre autant qu'il l'a fait avec Punch-drunk love, l'un des objets les plus bizarres que le cinéma américain nous ait apporté ces dernières années.
8/10

LOLITA MALGRÉ MOI

Le titre fait peur. Heureusement, grâce à des gens comme Finnegans Wake, on sait depuis bien longtemps que Lolita malgré moi est un monument, une oeuvre pleine qui va bien au-delà du teen-movie. Naaaaaaaan? Siiiiii.
Sans aller jusque là, il faut avouer que le film possède plus d'une qualité. D'abord un script digne de ce nom, qui allie le bon esprit des Clueless et compagnie à un côté vachard vraiment appréciable (quelques gags bien féroces nous montrent qu'on n'est pas chez Disney). À travers une histoire de guerre des poufs où tous les coups sont permis, Lolita malgré moi raconte l'histoire d'une fille qui se cherche. Et comme la fille en question est interprétée par Lindsay Lohan, qui n'en finit plus de se chercher dans la vraie vie, le film trouve une résonance inattendue.
Réjouissant, souvent drôle, bien interprété (on a du mal à reconnaître Rachel McAdams, la jolie brune de Serial noceurs et Red eye, dans l'excellent rôle de LA pétasse blonde du lycée), Lolita malgré moi est un teen-movie haut de gamme, à montrer à tout prix aux ados boutonneux pour leur faire comprendre ce qu'est la vraie vie. Un truc un peu cruel, où tout est loin d'être rose, mais au fond vraiment très agréable. À l'image du film.
7/10

01 mai 2006

NOS ENFANTS CHÉRIS

C'est ce qu'il y a de mieux dans la vie. Ils lui donnent du sens. On sait enfin qui on est quand on en a. Il n'empêche que les gosses, ça braille, ça vomit et ça emmerde tout le monde. À travers une structure basique de film de potes, Nos enfants chéris énonce plus d'une vérité sur le couple et les joies de la paternité. Sept personnages, tous un peu taillés dans le roc (le mec sans failles, le beauf irascible, le célibataire endurci...) mais tellement bien sentis qu'on se moque des facilités. Benoît Cohen livre un film qui parvient à la fois à être toujours drôle, toujours juste et souvent émouvant. On flirte avec la caricature sans jamais y rentrer. Doté d'un incroyable capital sympathie, le film provoque une adhésion immédiate. Outre le scénario sans temps mort, que les acteurs en soient remerciés, de Julien Boisselier à la révélation Mathias Mlekuz. Et que dire de la fin, adorablement dégueulasse, qui évite le consensuel et pourrait bien donner des idées à plus d'un. Avec un budget inversement proportionnel à sa qualité, Nos enfants chéris prouve une nouvelle fois qu'on n'a pas besoin de 25 millions d'euros pour faire rire.
8/10

JURASSIC PARK 3

Ayant tiré les leçons de l'expérience malheureuse du Monde perdu, Steven Spielberg a cette fois laissé un autre que lui tourner le nouveau volet de ce qui s'annonce désormais comme une saga. À la tête de Jurassic park 3, Joe Johnstone, honnête artisan capable de réaliser d'escellents divertissements. Et si cette troisième partie n'est bien sûr pas du niveau de la première, elle vaut très largement la deuxième. Cette fois, la plupart des personnages sont des gros nuls, ce qui permet de leur faire faire ce qu'on veut. Sans jouer la carte de la surenchère, Johnstone accumule les moments de bravoure, sans renverser personne de son siège mais sans faire lever les yeux au ciel. Aussi court que Le monde perdu était loooong, Jurassic park 3 possède un petit côté sentimental vraiment touchant et de bonnes doses d'humour qui fonctionnent. Tout le contraire du 2. Cette modeste réussite est sans doute à mettre au crédit des scénaristes, Alexander Payne et Jim Taylor, alors inconnus, mais auteurs depuis des scénars des films du premier (dont l'excellent Sideways).
6/10

JURASSIC PARK 2 - LE MONDE PERDU

De nos jours, qui dit gros carton au box-office dit suite. Spielberg, pas forcément désireux de voir quelqu'un massacrer Jurassic park 2, a donc repris le dossier, un peu à contrecoeur. Il faut dire que le scénario du Monde perdu n'atteint jamais les sommets du premier épisode : le film se résume à un enchainement de scènes d'action, exécutées avec professionnalisme mais sans supplément d'âme. À l'exposition brillante du premier volet succède une série de scènes téléphonées et dégoulinantes de sentimentalisme. Aucun enjeu intéressant (à part, bien sûr, celui d'échapper aux dinos). Pire, le scénario tourne à la farce, avec ces éminents scientifiques qui plongent tête la première dans la gueule du loup dès que l'occasion se présente. Ajoutez à celà de nombreuses tentatives d'humour, complètement inappropriées : Le monde perdu est le genre de film où si un héros est pendu les pieds dans le vide, se tenant par une seule main à une corde qui menace de lâcher, il va faire une grosse vanne au lieu de demander de l'aide. Bref, Spielberg tombe dans tous les clichés du film d'aventure.
Le plus amusant ici, c'est de constater à quel point le scénario Le monde perdu est un plagiat (bâclé) de King Kong : même bande d'abrutis fascinés par la bêêête, qui la pourchassent au lieu de la fuir ; même message écolo ; même fin urbaine avec grosse morale bien sirupeuse à la clé...
Spielberg aurait décidément mieux fait de passer la main ; il n'aurait pas eu à rougir de cette suite ratée, ni faite ni à faire, et que sa maestria filmique ne sauve pas du ridicule.
3/10