28 mai 2006

PEAU DE COCHON

Ce qu'il y a éventuellement d'agaçant avec Peau de cochon, c'est qu'il s'agit d'un film qu'on aurait tous pu faire. Un camescope pas forcément dernier cri, avec un petit micro pas trop pourri, et un logiciel de montage basique, histoire de juxtaposer douze plans-séquences. Et attention, pas des plans-séquences précis et storyboardés, chiadés à grands coups de steadycam, non, du bon gros plan-séquence amateur, avec la petite caméra qui a servi à filmer l'anniversaire de la petite et le départ à la retraite de Marcel mon beau frère.
Critiques compréhensibles mais néanmoins très faciles. Trop faciles. Car malgré (ou grâce à?) son côté terriblement artisanal, Peau de cochon flirte sans cesse avec le génie et le très grand cinéma.
Ça commence par une scène touchante : Dominique A, grand ami du réalisateur Philippe Katerine, redécouvre le gentil petit album qu'il a enregistré sur un magnéto tout pourri à l'âge de douze ans. Émotion, et stupeur : déjà le talent était là. On en tremblerait presque. Pas besoin d'effets de mise en scène ou de belles lumières : l'essence même du cinéma se trouve dans ce premier plan.
Ensuite, dans le formidable segment nommé "1 km à pied", Katerine arpente les rues de son enfance, et les souvenirs stupides et/ou singuliers remontent peu à peu à la surface. "Ici, j'ai vu une flaque de sang", "Là, je me suis pété le bras", "Dans cette maison, un de mes copains a regardé son frère baiser". C'est à la fois incroyablement drôle (d'autant que la voix de Katerine amplifie chaque effet sans même le vouloir), vraiment émouvant et foutrement original sous ses abords de film-amateur.
Il y a douze courtes séquences comme celle-là, rivalisant toutes de singularité et de génie. L'air de rien, Peau de cochon dresse le portrait d'un homme à travers ses manies et ses travers. Un type un peu psychotique, amoureux, jaloux, plein de malaise face aux conflits, mais incroyablement généreux. Un mec si différent que l'on trouverait presque un vrai sens à ses obsessions. Katerine collectionne ses étrons, qu'il range dans de petits Tupperware, et lorsqu'il fait découvrir le plus beau de son oeuvre à Thierry Jousse (critique de renom et réalisateur doué), on est d'abord tenté de rire (forcément, le caca, tout ça, c'est drôle). Puis une fois de plus, une sorte de magie complètement zinzin opère, et on regarde cette collection de merdes avec un émerveillement quasi enfantin, comme il les voit lui-même.
Sous une allure complètement anecdotique, Peau de cochon est un monument, le chef d'oeuvre du home-made cinema. Ça donne envie d'empoigner sa petite caméra et d'aller filmer le monde. pas sûr qu'on le fase avec le même génie que ce drôle de bonhomme qu'est Philippe Katerine.
9/10

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