27 décembre 2006

LA TRILOGIE PUSHER

Difficile de considérer la trilogie Pusher autrement que comme un seul et unique film, tant les sujets des trois volets sont étroitement liés. Les trois Pusher se voient dans n'importe quel ordre ; l'un n'est pas la suite de l'autre ; les films partagent simplement quelques personnages et surtout trois règles édictées par leur créateur Nicolas Winding Refn (1- Plutôt que des films sur le crime, ce sont des films sur des gens dans un environnement criminel ; 2- Chaque film est raconté du point de vue du personnage principal, à travers ses yeux et ses oreilles ; 3- Chacun est conscient que celui qui vit par l'épée mourra par l'épée). Mise en scène âpre, caméra à l'épaule, pour mieux épouser le point de vue du personnage principal. Les "héros" de Pusher sont des dealers (pushers) qui tentent de se sortir de la merde dans laquelle ils se sont mis tout seuls, tout en tentant de sauver quelques parcelles d'une vie privée pas franchement reluisante. Étonamment, passer cinq heures dans des cloaques crados avec des losers cocainés n'a jamais été aussi réjouissant. Parce qu'il filme avec une liberté toujours renouvelée, parce que ses abrutis de personnages finissent toujours par devenir atatchants, Refn emmène le spectateur là où il veut, même dans la noirceur la plus totale. Cohérence de la forme, intensité du fond, la trilogie Pusher ressemble à une version viking et courte durée d'une série telle que 24 heures chrono, où les personnages sont sans cesse dépassés par les événements et soumis à la contrainte du temps. C'est fichtrement brillant.
Pusher II est sans doute le meilleur des trois. Parce que Mads Mikkelsen (le Chiffre du récent Casino Royale et le frère con de Festen) apporte une folie furieuse qui multiplie le taux d'adrénaline par trois. Tatoué, crâne rasé, toujours prêt à vous tirer dans le dos, Mikkelsen livre une prestation de haute volée. Plus mélancolique mais aussi noir, Pusher I doit également beaucoup à son interprète principal, sosie danois de Tom Sizemore (dont on n'a plus de nouvelles depuis qu'il s'est mis au porno). Pusher III est légèrement en-dessous à cause d'une intrigue qui tourne légèrement en rond, même si la dernière demi-heure renoue avec les sommets du film noir. Trois diamants bruts à ne pas manquer et à enchaîner coup sur coup pour mieux les prendre en pleine tronche.
8/10

23 décembre 2006

NOS FUNÉRAILLES

On a trop souvent réduit Abel Ferrara au rang de réalisateur hystérique et provocateur préférant montrer des jolies filles se rouler des pelles plutôt que de raconter une histoire. Balivernes : s'il lui arrive effectivement de tomber parfois dans une déchéance un peu bête, Ferrara est d'abord un cinéaste de très grande classe. Nos funérailles en est sans doute le plus bel exemple : sous la forme d'une chronique autour du deuil d'une famille de petits mafieux, Ferrara livre une tragédie fine et bouleversante offrant à la plupart des acteurs le plus beau rôle de leur carrière.
Vincent Gallo, génie méprisé, est le jeune coq mort trop tôt sans doute parce qu'il l'ouvrait trop ; Christopher Walken, toujours inquiétant mais avec d'incroyables sanglots dans la voix, le frère déchiré et déterminé à laver l'honneur de la famille ; Chris Penn, trop souvent cantonné à des rôles de gros con, est le frangin rustaud aux problèmes psychiques avérés. Trois types dont l'amour se dissimule derrière l'orgueil, et que seule la mort pourra peut-être réunir enfin.
Il y a leurs femmes, coeurs blessés d'avoir vécu dans l'ombre de maris trop impulsifs et violents. "Nous devrions fêter le fait que tu ne seras jamais une de leurs épouses", dit Annabella Sciorra à Gretchen Mol. Quand l'honneur et la réussite à tout prix prennent le pas sur la vie de famille, personne n'y gagne.
Nos funérailles pourrait faire penser à l'une des fresques italo-américaines de Scorsese ; mais Ferrara se situe en fait à l'opposé de ce bon vieux Marty. Il s'inscrit dans une veine plus mélancolique, moins flambeuse, où le gangster a peu de valeurs alors que l'homme derrière le gangster a vraiment de l'intérêt. Plus modeste, que ce soit par la mise en scène, le propos ou la durée (à peine 1h30), Ferrara n'en est que plus touchant, renversant, désarmant. Et Nos funérailles de finir sur une note abrupte et amère, comme pour montrer que le seul vrai répit se trouve dans la mort. Chapeau bas, monsieur Ferrara.
10/10

22 décembre 2006

A GOOD WOMAN

Le générique de début ne dit pas qu'il s'agit d'une adaptation d'Oscar Wilde, mais on le devine rapidement. Dans A good woman, les quiproquos sont ponctués par tout un tas de bons mots qui devaient sans doute être hilarants il y a soixante-dix ans, mais dont on connaît tous les recoins de nos jours. Idem pour les situations laborieusement mises en place : il faudrait être un peu idiot pour croire un seul instant au fait que le fiancé de Scarlett Johansson la trompe avec Helen Hunt. Pourtant, Mike Barker (jeune réalisateur assez moyen dans le peu de choses qu'il entreprend) a l'air d'y croire, et s'acharne à filmer A good woman au premier degré, sans jamais se demander si tout cela possède un quelconque intérêt.
On passera sur la platitude de la mise en scène et sur la reconstitution poussiéreuse qui est faite de l'Italie des années 30, pour se concentrer sur ce qui semble être une nouvelle fois le seul intérêt du film. Si Tom Wilkinson et Helen Hunt forment un duo relativement charmant, si les jeunes types qui courent autour de l'héroïne sont d'une fadeur sans nom, c'est bien évidemment Scarlett J. en personne qui donne au film son peu de saveur. La jeune femme sait tout jouer, la sainte-nitouche comme la femme fatale, l'adulte bien trempée comme la gamine capricieuse. Ici, malgré quelques coiffures qui lui donneraient presque l'air d'une cruche, miss Johansson est forcément resplendissante et parfaitement crédible. Que ceux qui sont indifférents à ses charmes évitent ce théâtre filmé d'un ennui sans nom, et que les autres utilisent à loisir la touche avance rapide pour s'épargner les passages les plus ronflants et ne garder que le plus délicieux.
3/10

19 décembre 2006

KAMIKAZE GIRLS

Une rococo-maniaque toute de froufrous vétue rencontre une "kamikaze girl", motarde glaviotante pas vraiment féminine. Ce qui n'était pas gagné d'avance finit par arriver : une amitié va naître. Et le public va adhérer. Étrange, car Kamikaze girls commence comme une énième niaiserie à la japonaise (ce qui ne veut pas dire que les autres ne font pas de niaiseries), pour rapidement devenir la fable biscornue et attachante d'une rencontre improbable. Pas de message, un scénario très fin : pourtant, Kamikaze girls fonctionne, grâce à une énergie débordante et à un esthétique assez délirante qui lorgne du côté de l'animation (quelques très bons passages sont d'ailleurs animés) tout en restant fermement ancrée dans le réel. Impossible d'en dégager une recette, mais les faits sont là : Kamikaze girls parvient à émouvoir autour d'une histoire de fleurs brodées ou à faire marrer avec un type doté d'une très très longue banane (il est surnommé "la licorne", et Didier l'Embrouille peut aller se faire cuire un oeuf). Un machin étrange et séduisant, d'où émergent deux petites bombasses, Kyoko Fukada (Momoko la cucul) et surtout Anna Tsuchiya (Ichigo le garçon manqué). Kawaï.
7/10

14 décembre 2006

A SCANNER DARKLY

Le réalisateur de Rock academy qui adapte Philip K. Dick en coloriant en studio les acteurs qu'il a fait tourner? Si si, c'est possible. Après avoir expérimenté cette technique originale dans l'ennuyeux Waking life, Richard Linklater remet le couvert et signe un film étonnant et fascinant.
Dès le début, l'alchimie opère : cette image un peu bizarre mais vraiment bien foutue donne l'impression de plonger dans un autre monde, un univers où le flottement est roi. Pas de doute, on est bien chez Philip K. Dick : ambivalence des situations, substances louches, personnalités multiples. Mais bizarrement, ce n'est pas par son aspect thriller SF que A scanner darkly séduit le plus. Ce qu'il y a de captivant, c'est ce bavardage incessant entre les personnages, où l'absurde et le non-sens pointent leur nez au détour de chaque réplique. Comme si Linklater avait emprunté une porte secrète l'emmenant chez Beckett, Kafka et Hunter S. Thompson. À ce petit jeu, c'est le génial Robert Downey Jr. qui l'emporte, au détriment d'un Keanu Reeves pas mauvais mais plus en retenue (forcément, c'est la caution "sérieuse" du film).
A scanner darkly apparaît alors comme un trip sous acide, ou mieux, sous "substance mort" (la drogue très efficace et très dangereuse du film). Et là encore, l'esthétique marche à plein tubes : voir apparaître un éléphant rose dans un coin de l'écran ne serait même pas surprenant. Et la SF, alors? À vrai dire, on s'en fout un peu, trop stone pour comprendre réellement quels sont les rouages de l'intrigue. Nul doute qu'elle est intéressante : paranoia ambiante, jeux de miroir tordus (le héros est chargé de se surveiller lui-même), matériel high-tech (des capes qui vous font changer d'apparence à chaque instant, pour empêcher qu'on vous identifie)... Nul doute qu'au bout de quelques visions, A scanner darkly s'imposera non seulement comme le trip ultime, mais également comme un passionnant film de genre. Ou pas.
8/10

11 décembre 2006

RE-ANIMATOR

Un sérum qui rend la vie aux trépassés pour une comédie d'horreur avec humour noir à gogo, on n'aurait pas déjà vu ça mille fois? "Non, jamais", hurlent les fans de séries Z ; "Si!", réponds-je en baillant. Car si Re-animator est un spectacle assez divertissant et énergique, le film de Stuart Gordon n'a rien de plus ou de moins qu'un autre film du même genre. Hurler au génie parce qu'il y a une scène de cunnilingus pratiquée par une tête sans corps? Non merci. Parce que le chat trouvé dans le frigo fait bouger ses boyaux en miaulant plus fort que Lara Fabian? Non plus. Une fois de plus, passée la sympathique (mais déjà vue) idée de départ, Re-animator se contente d'aligner les scènes classiques du genre sans surprendre, ni effrayer, ni faire rire. Heureusement, le film a la bonne idée de ne durer qu'une heure et vingt minutes, nous épargnant le final interminable que nous réservent habituellement les metteurs en scène Z (souvent dotés d'une cervelle plus mince que les trépanés qu'ils adulent). La notion de film culte est vraiment galvaudée.
3/10

09 décembre 2006

MON VOISIN TOTORO

Mieux vaut le préciser une nouvelle fois : l'auteur de ces lignes n'aime absolument pas les dessins animés, surtout quand ceux-ci sont japonais. Il y a cependant des exceptions, comme ce Totoro de première qualité. Le film de Miyazaki ne raconte pour ainsi dire rien, et c'est très agréable : cette fois, pas de mythologie ennuyeuse, pas de monstres moches et sinistres ni de malédictions un peu nulles. Juste quelques minuscules bestioles et une très grosse avec plein de poils. Et deux petites filles toutes mignonnes qui jouent s'amusent et découvrent de ces créatures merveilleuses qu'on appelle totoros. La simplicité même. Et une grande réussite. Tendre, drôle, foutrement mignon, le film de Miyazaki n'entend pas pisser très loin en terme de dramaturgie ou de philosophie, mais trouve ainsi une sorte de grâce désintéressée et bougrement attachante. Et quand un évènement dramatique se produit dans le dernier quart d'heure du film, c'est juste pour mettre en valeur les qualités humaines d'une grosse bête vraiment géniale, du genre qu'on aimerait bien avoir en peluche, les soirs de solitude, pour câliner dans son lit.
8/10

03 décembre 2006

FAHRENHEIT 451

On ne le répètera jamais assez, mais François Truffaut et son cinéma constituent sans doute la plus grande imposture du vingtième siècle. Seulement voilà : il demeure une exception notable dans sa filmographie ô combien surfaite. Fahrenheit 451, son film américain, adaptation du roman de science-fiction de Ray Bradbury, est une réussite incontestable.
Pourtant, pendant les premières minutes, le film semble partir sur de mauvais rails : après un générique arty dans lequel les noms des membres de l'équipe sont récités à voix haute (ça avait sûrement l'air moderne en 1966), Truffaut livre une première scène au montage saccadé tout moche. Puis d'un coup d'un seul, Fahrenheit 451 (le premier qui confond avec la merdasse de Michael Moore, je lui fais avaler sa perruque) s'élève au rang de très grand film d'anticipation. Truffaut (ou plutô Bradbury) décrit un monde dans lequel les livres sont considérés comme les armes les plus dangereuses qui soient. D'où un perpétuel autodafé orchestré par les pompiers, qui n'ont plus que ça à faire depuis que les maisons sont ingifugées. Mais l'un d'entre eux, un certain Montag, découvre la lecture et se met à rejeter l'ordre établi. Fahrenheit 451 est à la fois une brillante critique des régimes totalitaires et un film de SF passionnant et haletant. Dans le rôle principal, Oskar Werner, physique typiquement aryen mais coeur commençant à s'ouvrir, est idéal. Le seul Truffaut valable est un très grand film ; ce serait dommage de passer à côté.
9/10